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bouhamidimohamed

01 Mars, l’an 00

27 Mars 2019 , Rédigé par bouhamidi mohamed Publié dans #Nouvelles et poèmes

01 Mars, l’an 00

Par M’hamed Belbouab

 

Treize-heure trente.  Le soleil se heurtait à son jogging, bleu comme le mur qui se dressait déjà devant eux. On voyait la mer du haut de la place du premier mai, ses rues désertes, et les balcons encore vides. La marée avait changé de couleur, petit à petit, elle montait, et ils allaient enfin avoir le dessus, inexorablement. Leurs voix déjà s’élevaient, des voix d’hommes, de barbelés et de poussière, des centaines d’instruments opprimés, provocateur, exultaient enfin : «  Jibou el BRI, ou zidou sa3i9a ! makench el khamsaya Boutefli9a ! » 

Il se revoyait ce matin encore, la boule au ventre. On l’avait prévenu. Ca tournerait mal, ça avait tourné mal avant, alors y avait pas de raison. Il était sorti aussi par défi. La peur il l’avait hérité sans trop savoir de qui ou de quoi, et il la portait, aujourd’hui encore, comme chacun des regards angoissés qu’il rencontrait. Il la portait avec cet imam, dans son prêche de funambule, qui savait l’affaire déjà plié, tremblotant, mais qui sauvait la face, les musulmans doivent s’aimer, se respecter, être uni, ceux qui y dérogent, ne sont pas des nôtres.  Ces mots défilaient encore sur ces centaines de visages : Oui, nous marcherons contre ceux qui ne sont pas des nôtres.

Quatorze heures. Les digues sautent, les unes après les autres. L’Algérie est une démocratie, et pas une monarchie entendait-il. Il ne pouvait être sûr que l’Algérie était vraiment démocratique, qu’elle était conçu de la sorte, qu’elle en était capable, ou que c’était même ce qu’il lui fallait, mais il marchait, et lui aussi, il criait et jouait de ses cordes de colère, comme pour mieux effacer tout doute.

Vers l’avant, la marée était maintenant toute noire, il est pris dans le courant, enfin, il se sentait appartenir, il se sentait algérien, et peut-être pour la première fois, plus qu’après Omdurman, plus que jamais au paravent, il n’avait senti son cœur vibrer à l’hymne, enfin. Il découvrait ces gens, son peuple, ses compatriotes tant chantés et espérés, et tant pis si l’Algérie entière n’était pas dehors, si il voyait tous ces gens aux balcons, à jeter des bouteilles, surpris et admiratifs, tout était dans les regards, et dans les sourires qui déjà se dessinait déjà derrière les pancartes et les voix.

01 Mars, l’an 00

Elle, elle aussi avait bravé les interdits et les tabous. Elle avait même prit sa grand-mère, plus courageuse encore. Na’na  avait perdu un mari et un fils emportés par la foule, et elle bravait la marée, comme un pied de nez, les larmes aux yeux, un goût de revanche et des cheveux plus rouge que le drapeau qu’elle portait. Y en avait d’autre de vieille, pliées mais tellement grandes, aux balcons, dans les voitures. Aux slogans se succédaient parfois les youyous, les dépassaient, les surpassaient, et les voix se taisaient comme pour mieux apprécier et respecter cette expression millénaire. Elle se sentait femme, elle sentait algérienne, plus fière et respectée que jamais, plus proche encore de toutes les autres, qui elles aussi avaient osé. Elles portent pour la plus part des pancartes et des banderoles, des écharpes colorées. Elles étaient au rendez-vous.

On pouvait y lire que le président avait déjà consommer les quatre mariage permis, qu’on ne voulait plus d’un nouveau mandat, que le peuple s’était éveillé, qu’il rêvait de liberté, qu’il revendiquait, enfin, que ça n’a plus se passer comme ça. Fini du régime, fini même du FLN certains oseront. Il se rappelait l’amertume de son père, quand pour la première fois, on avait remplacé le président par son cadre, quand il nous arrivait encore de le voir avec dégout à la télé. Il se rappelait aussi de sa petite sœur, qui regardant un jour un reportage sur El Dio De Muerte, la fête des morts du Mexique, s’amusait de voir des gens vénérer les cadres de leurs aïeuls, posés sur des autels, des images tristement similaires à la ferveur qui se déployait autour de celui du président. Il l’aurait bien brûlé ce cadre, celui-là, et celui d’Etienne Dinet qui trônait non loin, à la présidence aussi, mais celui-là c’était une autre histoire.

On touchait enfin au but, la trémie de Hassiba, et au loin, la grande poste, là où convergerai toute la foule, et on frémissait déjà à cette idée, de toucher enfin à cette communion. «  Fel 3assmia,makanch el Kachir ! », ces mots furent les plus durs à encaisser pour lui. Ses parents n’étaient pas de la capitale. Le Kachir il en mangeait presque quotidiennement au restaurant de la faculté.Il signifiait pour lui sa propre misère, signifiait souvent la misère de toute cette Algérie profonde et livrée à elle-même. Aujourd’hui il s’agissait de la traitrise de ceux qui avaient fini par manger dans la main du pouvoir, et pour cela, il criait lui aussi, parce qu’il le fallait, et il criait encore pour chasser ce maudit doute.

Le bain de foule avait eu lieu comme promis, au carrefour de l’histoire, qu’il lui semblait écrire, une première encore une fois. Ils étaient en marche pour rejoindre et renouer avec l’histoire qu’ils avaient cessé d’écrire il y a plus de vingt ans. Plus de doute, les sourires et les exaltations. « Ouyahyayanaslahmar ! dzayermachisouriya », ils l’avaient dit, ils l’avaient fait, ils ne tomberaient pas dans le piège, plus jamais. Ils n’auraient plus peur, enfin.

Aux scènes de liesse, des visages se succédaient, et il découvrait comme pour la première fois l’Algérien, les jeunes et les vieillards,qui émergeaient entre les chants patriotiques, la poussière et la chaleur assommante. Il souriait aux jolies filles, aux veilles avec leurs drapeaux, montait sur tout ce qui pouvait être escaladé, se prenait en photo avec un drapeau de la Palestine (pour ne jamais oublier) et puis chantait à en perdre la voix, et puis tant pis, y aurait de l’eau un peu plus loin, l’algérien était généreux ce jour-là, respectueux, mais surtout heureux et joyeux, presque autant qu’il était en colère.

Il remontait enfin vers le tunnel des facultés, dans l’antre de la bête, où lui et des centaines d’autres, au bruit des klaxons des motos et des voitures, se faisaient digérer dans la pénombre et la cacophonie avant d’être déversés sur la place d’Audin, pleine à craquer. Il reconnaissait des artistes, quelques journalistes, dont la présence avait été questionnée par la foule. Une presse impuissante qui avait perdue toute crédibilité dès lors qu’elle avait pu être entièrement et explicitement muselée, dès lors qu’elle l’avait sûrement toujours été.

Alors il remonta le boulevard Mohamed 5, intrigués par les jeunes qui se massaient encore vers Telemly et puis, pourquoi pas, vers El Mouradia peut-être. Il se sentait des envies d’héroïsme et de gloire, et il bouillait de toute sa jeunesse  à l’idée de se confronté à l’histoire, d’être au cœur des événements. Mais la marche avait ses vertus, et sur lui plus que sur n’importe qui. Plus tard il apprendra que tout le monde n’avait pas sa maîtrise, plus d’une flamme avait pris sur les hauteurs d’Alger. Il eut quelques blessés, et puis un mort, peut-être le premier d’une longue série ? Ironie du sort, il ne s’agissait pas d’un triste inconnu. Comment cela avait-il pu déraper se demandait-il ? Ca ne pouvait pas mal se finir, pas après tout ce qu’il avait vu. L’algérien aime croire qu’il n’est pas dupe, l’algérien a le complot facile, c’est qu’on l’avait habitué à la ruse et aux coups bas. Mais il revenait à la maison avec la certitude que ça allait prendre cette fois, que c’était la bonne, qu’on les aurait pas.

Minuit déjà, et impossible de dormir. Rejeter le régime était une rupture, mais il fallait déjà penser la relève, il fallait penser l’alternative, transformer l’énergie cinétique en action politique. Il se rêvait déjà jeune leader, lui qui avait boudé sans le cacher les manifestations d’étudiants cantonnés dans leurs facultés. Le soir commencé à tomber, et fatigué de son long périple, il redescendait, vers le musé du Bardo. La foule se dispersait déjà.  Il fallait incarner le renouveau, et qui de mieux qu’un jeune, qui de mieux que lui parmi eux tous ?

M. B

             

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