Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
bouhamidimohamed

Algérienne. Louisette Ighilahriz- Récit recueilli par Anne Nivat.

22 Janvier 2019 , Rédigé par bouhamidi mohamed Publié dans #Notes de lecture

Algérienne. Louisette Ighilahriz- Récit recueilli par  Anne Nivat.

Par Mohamed Bouhamidi.

Le  21 septembre 2000, Louisette et sa sœur Ourdia, prennent, de Paris, le train vers le sud de la France. Elle a longtemps cherché à revoir cet officier-médecin du grade de commandant qui l’a tirée d’une salle où la torturait Graziani, un capitaine de l’armée coloniale française, mais l’armée française a-t-elle été autre chose que coloniale ?
Gravement blessée lors de son arrestation dans une ferme de la Mitidja, les parachutistes ont tenu à la garder vivante  pour la faire parler, obtenir des renseignements, remonter des filières.

A l’hôpital Mustapha, des médecins l’ont rafistolée comme il était possible, retiré quatre balles, laissé une cinquième, plâtré une moitié de son corps, le côté de son bras et de sa jambe blessés et multi-fracturés.

Comateuse, blessée, vidée de son sang, son principal trait de caractère, la volonté, et la honte, la honte sublime de se salir et salir son père, en parlant et trahissant les secrets de l’ALN, Louisette, dans sa demi-conscience de combattante se souvient des conseils du jeune médecin, qui apprenait aux maquisards à dévier les effets du « sérum de vérité », le penthotal.

Elle dériva ses pensées vers son père, au moment de l’anesthésie.
A son réveil, un homme qui attendait qu’elle reprenne conscience, lui parla doucement. Elle n’avait rien révélé, juste parlé de son père et que son chef dans l’organisation était mort.

C’est bien sûr le point culminant de sa vie de combattante. Blessée, complètement immobilisée, Louisette se retrouvait terriblement sans ressorts et sans défense.

 Alors dans un décor de cauchemar, un lit de camp dénudé dans une pièce froide et nue, pendant des semaines, le capitaine Graziani va torturer Louisette. Les  bonnes méthodes brutales de la baignoire, de la gégène, de la pendaison étaient impossibles sur son corps disloqué et immobilisé. Graziani la torturera en agissant sur ses blessures, en les fouillant sous le plâtre qui l’immobilise,  en dégradant le plâtre lui-même pour que ses morceaux pénètrent les plaies et provoquent infections et douleurs permanentes.

Jour après jour, il s’acharnera sur cette prisonnière de guerre, cette blessée dont les os sont une seule et immense souffrance, et chacun sait quelle douleur provoquent les fractures. Il utilisera tous les objets contondants ou pénétrants pour la violer jusqu’à transformer son pubis en hématome boursouflé et douloureux, alors même qu’une gangue de ses rejets organiques s’était formée autour de son bassin. Louisette n’était plus qu’un désir de mort pour échapper à cette souffrance ;

Comment Graziani a pu supporter les odeurs pestilentielles dans lesquelles ses tortures avaient plongé Louisette et la salle elle-même, comment pouvait-il revenir avec cette constance infliger de telles souffrances à un corps aussi mutilé et à une combattante dont les informations n’avaient plus aucune importance dès lors que la Zone Autonome était démembrée ?

Livre de mémoire certes que ce récit mais là dans cette pièce nue s’affrontaient Louisette soutenu par sa seule volonté et la honte de trahir et la puissance pratique de Graziani et la force immense qui l’employait, puissance étatique et militaire, puissance idéologique maîtresse de l’information de masse et des forums internationaux.

C’est l’image de toute notre guerre de libération, la volonté d’indépendance devait créer la force mentale, spirituelle, et finalement physique d’affronter et de vaincre l’extraordinaire pouvoir de la quatrième puissance militaire mondiale soutenue de surcroît par l’OTAN.
Graziani apparaît cependant bien plus que le sadique appliqué à ses cruautés. Les visites de Massu le général et de Bigeard le colonel venus s’enquérir de « l’avancement des travaux » dans la salle de torture signalent que le sadique remplit une fonction d’Etat.

A ce niveau le récit nous ramène à quelques questions fondamentales. Qu’est-ce qui peut permettre à des hommes de torturer à ce point d’autres hommes sinon l’idéologie qui fait des autres des non-hommes ? Des sous espèces ?

Confusément puis tout à fait clairement, surgissent dans le récit de Louisette, cette question du racisme et de la quête d’une humanité unique pour tous, pour nous tous. 

Le  médecin-militaire, commandant Francis Richaud, entrera dans  cette salle dantesque, en ressortira immédiatement pour y revenir le nez protégé d’un mouchoir. Il dévoila le corps de son drap pourri, regarda la tuméfaction du pubis, les traces de violences et  constata « Mais on vous torturé ma petite ».
Un vouvoiement, seulement un vouvoiement, et s’installe une autre atmosphère. Il fait tout pour faire réparer le plâtre et les blessures et la faire admettre en prison.

En prison elle se retrouvera dans le dortoir où sont déjà enfermées sa grand-mère et sa mère, sa soeur Malika en compagnie de Jacqueline Guerroudj, Fatima Bahichi, Eliette Lou, Anne  Grégoire, Fatima Slimani. Son père est emprisonné dans un autre étage réservé aux hommes. Toute la famille, sauf les enfants et les ados, est en prison.
Cela avait commencé au Maroc, où le père faisait partie du corps de la Gendarmerie Française avant d’en démissionner et de revenir au pays. S’il est effectivement membre d’un parti politique, c’est évidemment le PPA et l’Organisation Spéciale puisqu’il est dans le coup dès novembre 1954, le parcours militant de sa famille relève du phénomène social. Autre aspect que le récit n’aborde pas comme tel, mais que l’appel de novembre trouve un tel écho dans le peuple prouve que l’idée de lutte pour l’indépendance est passé de phénomène politique à un phénomène social.  

Louisette vivra mal la détention. Elle sera transférée en France et de prison en prison, elle nous déroule l’intérieur de l’incarcération puis de sa mise en résidence surveillée en Corse, jusqu’à son évasion. Elle rencontrera en Corse un couple d’instituteurs qui la soutiendront et l’aideront à s’évader,  elle se confiera à Thomas André, responsable du Secours populaire pour les Alpes Maritimes qui lui trouvera une planque de toute beauté dans Monaco chez un couple de communistes, Pierre écrivain-scénariste et Martine.

La torture a marqué Louisette dans sa chair, littéralement. Elle aura beaucoup de mal à s’en remettre aussi bien pour ses études de médecine qu’elle abandonne à cause de ses difficultés à voir le sang des blessures  que pour ses grossesses

.
Là dans sa chair est inscrite une mémoire. Mahfoud Boucebci essayera de l’aider à trouver ses mots, là où son corps parlait à la place de son âme.
Louisette recherchera le commandant Richaud  comme pour retrouver dans sa mémoire une image humaine d’elle-même, une espérance plus profonde dans une humanité partagée, cet instant dans lequel elle ne fut pas une sous espèce d’humanité. Elle tenait à ce point de lui en exprimer gratitude, qu’elle fit le voyage dans l’angoisse de ne pas retrouver sa tombe et d’y déposer un dernier témoignage.

« La mémoire est une thérapie » nous révèle-t-elle à la fin de son livre.

Mémoire rebelle aux injonctions de l’oubli de la pensée correcte importée car l’oubli est aussi le voile jeté sur les infamies des Graziani mais surtout sur l’humanité des Richaud, des Martine, des Pierre, des André, des instits de Corse, des avocats de Louisette, des Niva, de Saïd Bakel son chef de guerre, son oncle Khali fida, son père, sa mère, Ahmed son mari, ses enfants, Boucebci…

M.B

 Algérienne. Louisette Ighilahriz. Récit recueilli par Anne Nivat. Editions Fayard Paris 2001. Editions Casbah. Alger. 2006. 274 pages.

Source : Horizons du 23 janvier 2019

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
R
Femme plus que courageuse que cette merveilleuse Louisette. Belle et courageuse. Courageuse à visage découvert. Mais il est vrai que c'était une autre génération de femmes, pas de ces fantômes hideux, aux silhouettes "belphégoresques" qui ont fait allégeance à une fausse identité arabe, une identité inconnue jusqu'à il y a quelques décennies en Algérie. Identité mortifère, anti-vie, anti-beauté, anti-patrie même.
Répondre
R
Femme plus que courageuse que cette merveilleuse Louisette. Belle, et courageuse. Courageuse à visage découvert. Mais il est vrai que c'était une autre génération de femmes, pas de ces fantômes hideux, "belphégoresques" qui ont fait allégeance à une fausse identité arabe, une identité inconnue jusqu'à il y a quelques décennies en Algérie. Identité mortifère, anti-vie, anti-beauté, anti-patrie même.
Répondre
S
Bonsoir Mohamed Bouhamidi. Je viens d'apprendre, sur votre page facebook que vous êtes Oulhaci, êtes-vous des Oulhaça Ghraba ou Chraga ? Moi je descends des Chraga qu'on nommait Béni Fouzèche. Je crois bien que dès la toute première fois où je vous avais lu, sur "Le Soir d'Algérie", c'est d'abord votre nom qui m'avais attiré, El Bouhmidi est quasi sacré à Béni-Saf d'où je suis native et pour cause, c'est sur les territoires des Béni-Fouzèche, ma tribu, que cette dernière fut construite. Je vous ai ensuite lu régulièrement sur support papier puis sur le web, en particulier sur la tribune, je commentais régulièrement toutes vos chroniques mais jamais mes posts n'ont été publiés, je me demande même si vous les aviez lu, de longs commentaires dans lesquels j'y mettais mes pensées, toute mon âme. Assegas amegaz cher Mohamed Bouhamidi. Je ne vous oublie jamais dans mes prières quotidiennes pour une bonne santé. A bientôt.
Répondre
M
Tu peux m'écries sur Messenger ou sur mon mail ? mohbouha4@gmail.com ?
M
Bonsoir Safiya. Je ne sais pas si je suis Ghraba ou alors Chraga. je n'ai vécu que dans la légende. On m'appelait wald el bouh'midi quand on était content de moi ou pour me grandir. je sais juste qu'on m'a élevé dans l'amour de l''Algérie, de la résistace et dans le respect de l'Emir, sinon tout le reste a été une éducation à la résistance et à la lutte. Malheureusement je n'ai jamais lu tes commentaires sur la Tribune, c'était réservé aux responsables pour évaluer les réactions et l'impact.
D
Un uppercut ....Rien que ça ! Merci !
Répondre
M
je n'ai pas compris. Daas Bachir