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Octobre 88 Evolution ou rupture ? M’hammed Boukhobza.

9 Octobre 2018 , Rédigé par bouhamidi mohamed Publié dans #Notes de lecture

M'hamed Boukhobza assassiné le 22 juin 1993

M'hamed Boukhobza assassiné le 22 juin 1993

 

Par Mohamed Bouhamidi

En 1991 à Alger les éditions Bouchene publiaient « Octobre 88 Evolution ou rupture ».  Bouchene faisait œuvre de pionnier en intervenant en tant que maison privée dans le débat politique, pratique courante aujourd’hui mais audacieuse à l’époque.  Le fait qu’une maison d’édition privée publie un texte à l’indéniable portée politique indiquait à lui-seul qu’Octobre 88 a eu, au moins, pour conséquence de libérer la parole.

Le texte lui-même, de Boukhobza, représente de son côté, à ce moment, une authentique nouveauté dans l’analyse de la crise d’Octobre. Les analyses se succédaient et se contredisaient dans l’espace public. Naturellement, elles reflétaient, majoritairement, les points de vue des courants de pensée, au sens politique du terme, de leurs auteurs. Les observateurs de cette époque peuvent se souvenir, avec le recul, combien les analyses de nombreux universitaires sérieux, pouvaient paraître un habillage, dans le langage des sciences sociales, des positions fondamentales de leurs propres courants politiques. Souvent, elles ont recherché les causes du séisme d’octobre 88, à partir d’un angle particulier, économique, sociologique, culturel. Même rattachées à des courants politiques, ces analyses des intellectuels algériens proposaient, quand-même, des approfondissements nécessaires à leurs propres buts.

M’hammed Boukhoubza le relève  dans son introduction  à son  travail. Toutes ces analyses portent en elles des parts de vérité, des parts importantes même. Elles laissent cependant insatisfaites les vraies curiosités scientifiques. Il le dit, à sa façon, en proposant d’interroger les « relations entre l’Etat, en tant que système institutionnel en actes, et le citoyen »    comme ligne d’inclusion de toutes ces analyses dans une vision plus globale.

Il visait juste. Non pas sur la validité de la question seulement, elle pouvait être discutée, mais sur la nécessité de prendre conscience que ce débat public consistait en des réponses à une question non formulée. C’est le propre de l’idéologie de produire des réponses à des questions que personne ne croit nécessaire de poser ou préciser.

Les parts de vérité contenues dans ces réponses idéologiques n’ont plus pour fonction de découvrir la réalité mais de persuader les opinions. Il faut alors les extraire de cette enveloppe.

Cependant, la question de la relation de l’Etat au citoyen ne porte pas en elle toute la dimension épistémologique de Boukhobza.

Le véritable débat et l’apport de ce dernier, tenaient entièrement dans la méthode. Comment comprendre en Algérie, cette furie destructrice, cette agressivité sociale à l’endroit de tout ce qui représente l’Etat ? Et si dans les émeutes d’octobre toutes les institutions de l’Etat, économiques, sociales, culturelles, furent la cible de la destruction, l’Etat ne reste-t-il pas aujourd’hui une cible centrale de cette agressivité, dans les formes nouvelles de criminalité sociale et de sape politique ?

Il oppose d’entrée aux réponses rapides, faciles, globalisantes, de l’idéologie, la nécessité de discuter la méthode d’analyse. La sienne est d’aller dans les lointains historiques pour dégager les traits communs des rapports entre société et Etat dans l’histoire de notre pays.  A l’anthropologie sans histoire, il oppose dans son analyse, une historicité de notre anthropologie façonnée dans des confrontations des composantes de notre société (tribus, communautés, régions) contre les formes d’Etat qu’elle a eu à connaître concrètement, Ottomane puis coloniale.

Alors sa proposition de dégager des noyaux de vérités construits dans les analyses par discipline, nous permet de voir la combinaison de tous les facteurs qui ont fabriqué, dans notre culture, une tendance à préserver dans et par les structures communautaires les intérêts de la société face aux lacunes de l’Etat.

De ce pas si lointain 18ème siècle à la construction d’une économie nationale postindépendance, il nous apparaît en filigrane, dans notre mode de perception produit  par notre histoire, que tout Etat est soit une force hostile en quête de taxes et d’impôts, soit  une promesse de résolution des problèmes de la communauté. Pas nécessairement celle du pays ou de la Nation. C’est le premier livre qui nous donne à comprendre que l’adhésion à l’ALN a été massive car notre armée de libération est apparue, socialement, comme le représentant et la synthèse des colères communautaires contre l’Etat colonial. C’est absolument passionnant de découvrir au passage, dans la lecture de ce livre, que la société a continué à percevoir ainsi   le FLN postindépendance.

 

L’Etat algérien et le FLN renvoyaient dans cette historicité à une mission supposée de représentation de solutions des besoins des composantes de notre société. Le fonctionnement communautaire, ou si vous voulez tribal, a fonctionné comme dynamique réelle au-delà des discours à portée nationale des leaders politiques.

Cet Etat national va être la victime de ses propres réalisations. En sortant le pays de son état de  sous-développement,  il a accru les besoins et attentes. Il va générer les mécontentements dus à ses propres réalisations, pourtant grandioses au vu des indicateurs mondiaux au plan de l’éducation, de raccordements à l’eau, au gaz, à l’électricité, au réseau routier etc.

Mécontentement des couches les plus fragiles, mécontentement des élites, mécontentement des élites de l’Etat, il semble que plus notre Etat se développe dans ses formes concrètes et dans sa gestion des ressources humaines et matérielles, plus il crée des attentes nouvelles, des demandes nouvelles et des frustrations nouvelles.

Quelles furent les erreurs de l’Etat dans la gestion des carrières, des compétences, des circuits économiques et commerciaux, dans ses rapports avec les petits et moyens producteurs, dans ses sous-estimations des hommes de culture pourtant si nécessaires à porter et défendre ses valeurs, à ses échecs face à la spéculation qu’il n’a jamais su traiter comme délit, etc.?

M’hammed  Boukhobza balaye l’ensemble du spectre des fonctions de l’Etat et de ses rapports avec les citoyens.

Face à l’ampleur de la tâche, il est contraint de réfléchir au concept d’Etat à partir de notre situation historique et apporte ainsi un enrichissement indéniable à ce concept.

Trente ans après octobre 88, ce livre reste la meilleure contribution jamais écrite sur ce séisme dont il vous reste à déterminer s’il fut évolution ou rupture.  

M.B 

Octobre 88 Evolution ou rupture ? M’hammed Boukhobza. Editions Bouchene. Alger. 1991. 237 pages.

Source : Horizons du 10octobre 2018

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