Version intégrale de l'interview du Pr. M.Maaoui, charcuté par Liberté.
Sur la santé publique et d’autres questions.
1/ les hôpitaux sont de plus en plus assimilés à des mouroirs. Comment en est-on arrivé à ce niveau de marasme ?
Les hôpitaux seraient des mouroirs ? Cela serait une vision optimiste si les mouroirs ne se limitaient qu’aux hôpitaux. Ne désigner que l’hôpital serait très réducteur et dédouanerait trop généreusement l’ensemble des facteurs qui concourent à ce marasme. Ce serait en somme accuser le thermomètre d’être à l’origine de la fièvre.
D’abord il existe un quiproquo qui impose de définir ce que l’on propose « au peuple » : la santé ? La médecine pour tous ? L’accès aux soins ? Quels soins ? De premier niveau ? De haut niveau ?
Ensuite de définir le rôle de chaque acteur : ses prérogatives, ses responsabilités.
Quel est le rôle du « peuple », autrement dit la Société et celui des pouvoirs publics, c’est-à dire celui de l’état ? Au total, quelle politique de santé choisir ?
D’après l’OMS, «La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. Cela signifie qu’être en bonne santé, c’est être décemment logé, avoir la sécurité de l’emploi, être en paix avec son environnement et pouvoir se dire si on vous réveille aux aurores que « c’est sans doute le laitier » plutôt qu’un rodeur ou un égorgeur. Si vous avez un diffèrent avec votre voisin, ce qui est toujours possible, vous avez l’assurance que le juge va vous préserver vos droits si tel était le cas ou encore préserver ceux de votre voisin si c’est lui qui a raison. Si vous confiez votre enfant à une crèche, vous n’aurez pas la désagréable surprise de le retrouver dans une cage, ou si un peu plus tard vous l’envoyez à l’école, on lui apprendra à réfléchir et on l’aidera en même temps à rêver et surtout ne pas le pousser aux cauchemars avec « les tourments de la tombe » où l’art de laver les morts ! Quand vous l’enverrez acheter un pain à la boulangerie du quartier, aucun pervers ne le kidnappera et il ne tombera pas dans les rets des voyous du quartier qui le pousseront à la drogue ou à la fuite du pays. Si votre enfant (ou vous même ou votre épouse) aviez le désir de pratiquer un sport quelconque à la piscine, au bord de mer ou au stade de la ville, (mens sana in corpore sano : un esprit sain dans un corps sain), vous ne seriez pas l’objet de quolibets ou d’attaques de la part de « gardiens de la morale ». Sans être dans l’obligation de croire et encore moins de pratiquer, vous pourrez, si vous êtes croyant et pratiquant exercer votre culte selon les rites transmis par vos ancêtres sans être obligés de mimer les pratiques de sectes adoubées par Donald Trump.
On voit que pour ce qui est du « bien-être », le médecin et l’hôpital n’interviennent pas encore. Pour vivre en société, les citoyens ont donc besoin de logements qui ne sont pas entrainés dans les eaux et la gadoue au moindre crachin, dans un environnement non pollué. Ils ont besoin de travail, de justice, de sécurité, d’entretenir également leurs corps et leurs âmes et le médecin ou l’hôpital ne sont que très indirectement concernés pour atteindre ces objectifs. L’ensemble de ces impératifs relève de l’esprit citoyen de la population et des prérogatives et des missions de l’état.
Cet état a le choix, vieux comme le monde entre Hygiée et Panacée, autrement dit entre la prévention et traitement. La première attitude exige une politique au long cours, nécessitant le concours de tous. Elle est souvent discrète, parfois rébarbative, mais elle est peu couteuse et finit régulièrement par être payante. La seconde attitude du « tout thérapeutique » exige plus de moyens, avec des résultats qu’on peut médiatiser dans les revues scientifiques ou les médias de vulgarisation comme spectaculaires et positifs. L’attitude préventive ne profite qu’à la population, presque dans l’anonymat. La seconde est plus rentable au plan politique ainsi qu’à l’industrie du médicament et des équipements médicaux.
Avant de giter à l’hôpital, le mouroir est sur terre, avec des routes et des autoroutes désastreuses, associant la réalisation non conforme de celles-ci à l’indiscipline voire la délinquance de la population ainsi qu’à un parc automobile où les pièces de rechanges issues du marché de l’informel sont majoritairement des contrefaçons. Nous avons le triste privilège d’être classés au 4° rang mondial en matière d’accidents de la route et le « mouroir » n’est pas encore l’hôpital.
Si la terre est ainsi agressée, la mer n’est pas épargnée non plus. Son accès est de plus en plus pénible, barrée par des hordes qui y exercent au vu et au su de tout le monde le Racket à grande échelle avec une violence qui peut aller au meurtre, comme le drame survenu il y seulement quelques semaines. Ce littoral est pollué au point que la faune marine ainsi que la chaîne alimentaire y sont très gravement menacés. La mer elle même a son lot quotidien de désespérés fuyant la mal-vie et la misère. Nous avons malheureusement la caractéristique d’avoir un autre record peu enviable en matière de complications cardio-vasculaires liées à un tabagisme féroce et une pollution organique, chimique, toxique et sonore qui choquent toujours les visiteurs qui s’aventurent dans notre pays. (Arthus Bertrand n’a vu l’Algérie que du ciel, à l’indulgence bien connue).
Voilà cités de manière loin d’être exhaustive quelques points où la prévention doit être mise en œuvre afin de soulager le volet thérapeutique et donc le poids qui pèse sur les hôpitaux.
2/ Quelles sont les plus grandes difficultés qui se posent actuellement dans la prise en charge des malades ?
Une partie de la réponse réside dans le recours à une stratégie insuffisamment orientée en amont vers la prévention. Y remédier soulagerait grandement le volet du « tout thérapeutique ». Les économies ainsi réalisées pourraient être distribués de manière plus rationnelle à des hôpitaux de référence, moins nombreux mais autrement plus efficaces. En somme moins d’hôpitaux, judicieusement répartis mais bien équipés plutôt que beaucoup d’hôpitaux, chacun sous-équipé.
Cette répartition des hôpitaux plus liée à des considérations « d’équilibres régionaux » qu’à des besoins légitimes d’accès aux soins que chaque citoyen est en droit d’exiger est encore le fruit un quiproquo entretenu par la confusion tenace connue sous le nom de « déserts médicaux », terme utilisé par les français pour désigner un endroit démuni de médecins. Ces « déserts « peuvent se trouver dans l’Ariège par exemple, dans des lieux dits qui se trouvent sous un climat doux et tempéré à une demi heure de Toulouse ou trois heures de Barcelone où il y a tout ce qu’il faut pour rendre la vie agréable et inciter la population à y être plus nombreuse et les médecins à s’y installer. Notre pays n’a pas de déserts médicaux : c’est pour les trois quarts de son territoire un désert tout court. La carte sanitaire doit y être étudiée de manière ciblée parce que l’épidémiologie ainsi que le mode de vie des populations, inégalement réparties sur le plus grand pays d’Afrique ne sont pas les mêmes. Rappelons que l’on peut parler de trois grandes zones géographiques : le littoral, surpeuplé, les hauts-plateaux à vocation traditionnellement agricole et pastorale et enfin le Sahara qui fait vivre le pays par les ressources de son sous-sol habité par des autochtones au passé de nomadisme qui côtoient une population plutôt jeune, transitoire et institutionnelle au niveau des infrastructures pétrolières (exploitation, administration et sécurité) et une autre à la limite de la légalité en situation de réfugiés ou de migrants clandestins en route vers l’Europe.
Dans le Nord, à coté des accidents de la route, nous avons le triste privilège d’avoir des maladies directement liés à une pollution catastrophique. A coté de la permanence des maladies infectieuses, dont certaines font des résurgences aussi spectaculaires qu’inquiétantes (peste à Oran, rougeole qui était pourtant en voie d’éradication, paludisme, choléra récemment), se surajoutent sur les hauts plateaux des pathologies parasitaires sous formes d’anthropozoonoses liées essentiellement à une hygiène animale et humaine calamiteuse. La leptospirose par exemple est une maladie que l’on connaissait depuis toujours en Algérie, mais à des taux acceptables et décents. On la rencontre désormais presqu’au quotidien ! Elle se manifeste notamment par une jaunisse et son agent est véhiculé… par l’urine de rat ! Enfin, dans le Sud, à la population disséminée se posent les problèmes des maladies tropicales ainsi que ceux des MST (maladies sexuellement transmissible) ou encore ceux des MTH (maladies à transmission hydrique), ceux liés à l’ophtalmologie (trachome) à coté des maladies congénitales liées à l’endogamie, et ceux plus spécifiques des envenimations scorpioniques. La prise en charge doit être adaptée à ces situations particulières.
On voit à travers ce résumé non exhaustif des étiologies en cause les solutions que les pouvoirs publics se doivent d’adopter au plus vite afin d’endiguer ces maux : tracer des autoroutes aux normes exigées, réglementer la circulation automobile, mener de vraies campagnes contre le tabagisme, contrôler de manière plus efficace la salubrité des abattoirs, la qualité des produits alimentaires importés afin d’éviter l’horreur du botulisme régulièrement signalés ça et là, combattre vigoureusement l’importation frauduleuse des pétards qui transforment nos quartiers en véritables champs de bataille, diminuant de manière significative le recours aux anxiolytiques et autres somnifères, lutter contre l’envahissement des sachets en plastique et imposer aux pollueurs les sanctions financières qui s’imposent. La liste est longue et l’on voit bien que pour les solutions le médecin ou l’hôpital n’y jouent qu’un rôle modeste.
3/ Des algériens meurent, dans les hôpitaux, de maladies bénignes, par manque de moyens et parfois de personnel médical et surtout paramédical, quel est votre commentaire ?
Je viens de citer quelques exemples de « maladies bénignes » qu’on peut qualifier ainsi quand elles sont isolées et sporadiques. Lorsque leur prévalence atteint des seuils aussi élevés que ceux qu’on observe actuellement, la situation devient inquiétante. La solution pour traiter un kyste hydatique, si confortablement installé dans notre pays, n’est pas de le traiter par la vidéochirurgie, la robotique et encore moins par des médicaments qui ne sont efficaces que pour augmenter le compte bancaire de l’industrie pharmaceutique mais tout simplement dans le lavage des mains, le contrôle des abattoirs et la purge régulière de nos animaux de compagnie.
4/ Pouvez-vous nous donner des exemples concrets sur l'errance des malades et le malaise du corps soignant ?
A la suite de ce qui vient d’être écrit, on voit qu’il ne faut pas faire de confusion entre la santé de la population d’une part et la médecine d’autre part. Celle-ci n’intervient en aval que lorsque toutes les conditions de bonne santé ont été transgressées en amont. De même il convient de distinguer la médecine de recherche, celle qui concerne la prévention et enfin, en bout de course la médecine curative. La médecine de recherche doit être exercé dans des centres équipés, qui ne sont pas obligatoirement situés au Nord. La médecine préventive concerne essentiellement les campagnes de vaccinations et des campagnes de sensibilisation en direction des populations mais aussi en direction des pouvoirs publics et des édiles locaux. Enfin la médecine curative doit être orientée vers les risques prévalents. En matière de violence routière, ce ne sont pas comme on le voit trop souvent des « services d’orthopédie » qu’il faut, mais de vrais centres de traumatologies, incluant également la traumatologie osseuse, mais en se rappelant que si on ne meurt pas d’une fracture de phalangette, on risque sa vie avec une simple rupture négligée du grêle. La confusion réductrice entre « traumatologie » et orthopédie est une constante en Algérie.
In fine, les étiologies des différentes pathologies recensées en Algérie peuvent se rencontrer partout avec des zones préférentielles, touchant des populations inégalement réparties. Comment les gérer ? Ce n’est certainement pas en multipliant des hôpitaux, sommairement équipées et « saupoudrant » le territoire nationale à la manière des « Souks el fellah » de la belle époque du clientélisme et des mouhafedhs à satisfaire coute que coute. La solution n’est pas non plus dans la répartition arbitraire et exclusivement administrative de résidents qui à la manière de « Zangra, lieutenant au fort de Belonnzio, qui domine la plaine, d’où l’ennemi viendra, qui le fera héros »…
La carte sanitaire devrait tenir compte des quelques remarques formulées ci-dessus et, dans le cadre d’un aménagement du territoire pertinent, les structures sanitaire dans le Nord et les hauts-plateaux peuvent être maintenus tels quels, au prix de certains aménagements. Pour le Sud, il faut de vrais CHU à l’Ouest (Bechar), au Centre (Adrar), l’Est (El Oued) et au grand Sud (Tamanrasset). Il serait contre-productif de multiplier les hôpitaux pour avoir une activité sporadique. Les populations seront soignées au sein des CHU alors que pour les urgences des populations isolées, éparpillées ou nomades les moyens de communications actuels (téléphones mobiles et les hélicoptères) autorisent de penser que la protection civile (voire l’armée avec le concours des médecins du service national) puissent intervenir dans ces conditions de manière plus efficace. Dans ces contrées éloignées, organiser des campagnes régulières de vaccinations ou de sensibilisation ne nécessite pas des médecins à demeure. Pour ce qui est des urgences, on peut rencontrer toute forme d’urgence mais aussi des pathologies spécifiques, telles que l’envenimation scorpionique. Cette dernière pourrait être à l’origine de création de centres de recherches et de fabrication de venin à partir d’arachnides ramassées selon les règles de sécurité requises par des jeunes qui trouveraient ainsi un travail rémunéré. Les postes pourraient être ouverts à d’autres chercheurs tels les biologistes et les CHU doivent être ouverts aux concours pour l’ensemble des disciplines et pour tous les grades afin de former des équipes cohérentes et performantes. Les médecins, qui auraient l’équipement leur permettant d’exercer leur métier sans subir l’affront régulièrement répété de collègues (parfois des camarades de promotion restés au Nord) venus sous le feu des caméras de la télévision dans le cadre de « parrainages » soigner de manière ponctuelle des malades préparés pour la cérémonie si largement médiatisée. Pour reprendre votre question concernant « l’errance » des malades, on peut lui adjoindre maintenant celle des médecins qu’on déplace régulièrement pour soigner plus l’image de marque des autorités locales que réellement les malades.
On voit que les problèmes que soulevez ici ne relèvent pas de facteurs « techniques ». C’est un vrai problème de société qui mérite un débat franc, apaisé, loin de toute contrainte politique ou idéologique qui nécessite d’impliquer la Nation parce que nous sommes tous concernés, et parfois responsables. Je vous donne deux exemples parmi d’autres pour étayer mon propos. Le 11 juillet dernier, à 5 heures (je me lève-tôt pour arriver à mon travail à 8 heures), j’ai courageusement « capturé » devant chez moi à Ain taya un moustique-tigre. Je l’ai mis sous enveloppe avec toutes les références recommandées. A ce jour, cette pièce à conviction n’a pas soulevé d’intérêt auprès des pouvoirs publics. Pas plus que les peaux de moutons qui trainent encore dans certains quartiers et qui expliquent en partie la récente épidémie de choléra sans provoquer l’émotion des services de la mairie qui semblent n’exister que pour les élections. Pour être honnête et pour ne pas désigner un seul coupable, citons cette intervention d’un wali qui avait exhorté un Imam, donc un leader d’opinion, de faire l’impasse dans son prêche sur Abou Horeira et de recommander à ses ouailles d’observer des règles strictes d’hygiène. Ce malheureux fonctionnaire a soulevé sur les réseaux sociaux une tempête de haine qui perdure. J’avais benoitement pensé qu’il avait fait une bonne chose et que même si je suis assez peu connaisseur de l’histoire de la religion, je sais que Abou Horeira avait beaucoup de respect pour les êtres vivants et qu’il affectionnait en particulier les chats. Le saint homme aurait sans nul doute approuvé le wali qui voulait tout simplement éviter à ses administrés un « chien de sort » !
Le débat à l’échelle nationale mériterait également d’être envisagé en ce qui concerne la promesse (ou la menace selon les points de vue) des gaz de schiste au Sahara et en Offshore : la maitrise des effets nocifs de ceux-ci est-elle actuellement aboutie ? Si oui, l’Algérie serait plus riche, et c’est tant mieux. Dans le cas contraire, elle serait également plus riche …en hôpitaux-mouroirs.
Professeur Mustapha Maaoui. Chirurgien