Note du traducteur : Le texte qui suit est une traduction d’une série de 4 articles écrits par une certaine Dr. Em, initialement publiés en anglais et consultables en suivant ces liens : partie 1, partie 2, partie 3, partie 4. Il m’a semblé intéressant et même important de les traduire dans la mesure où cette théorie et les pratiques qui en découlent se propagent assez rapidement, causant toutes sortes de dégâts. Il est assez pathétique de constater que des travaux universitaires obscurs, partiellement incompréhensibles – de l’aveu même de nombres de promoteurs de la « théorie queer », de promoteurs desdits travaux – et contenant toutes sortes d’idées sordides, servent de fondement à des mouvances (queer, transgenrisme) qui se pensent incroyablement subversives, révolutionnaires, mais qui, en réalité, ne font qu’entraver une véritable lutte émancipatrice et nuire à la santé physique et mentale des enfants (et des adultes, et de la société en général). D’ailleurs, selon toute probabilité, parmi les supporters de la théorie queer et du transgenrisme, bien peu connaissent ces travaux (promouvoir des pratiques et des idées sans en connaître les tenants, quoi de plus moderne). Pour reprendre la formule qu’emploie Jean-Marc Mandosio dans son livre Longévité d’une imposture : Michel Foucault, les mandarins de la théorie queer sont autant d’apôtres d’un « anti-institutionnalisme institutionnel » qui fait tout sauf menacer l’hégémonie du capitalisme technologique.
Introduction
Lorsque je vois écrit « féministe queer » ou « féminisme queer », je soupçonne, voire espère, que ceux qui utilisent ces expressions ne savent pas de quoi ils parlent. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Je ne crois pas que tous ces jeunes gens « éveillés » (woke), ces organisations caritatives, ces institutions et ces festivals d’art soient favorables au viol et à la pédophilie, au « queering » et à la transgression des limites que les féministes ont travaillé sans relâche à établir[1]. Il s’agit néanmoins de ce que promeut la théorie queer[2]. Comme le note Sarah Beresford, de l’université de Lancaster, « Le terme « Queer » […] désigne par définition tout ce qui ne s’accorde pas avec le normal, le légitime et le dominant, et vise à déstabiliser les idées prééminentes concernant l’identité, que cette identité soit sexuelle, sexuée, ethnique, nationale, politique, etc.[3] » Cela peut sembler libérateur et progressiste, sauf que « le normal, le légitime et le dominant » comprennent entre autres choses l’idée que les adultes ne devraient pas abuser sexuellement des enfants. Il est troublant de constater que la remise en question de la notion d’abus sexuel sur les enfants et la banalisation de la pédophilie constituent une idée dominante de la théorie queer. Bien qu’elle ait tenté de se dissimuler dans le drapeau arc-en-ciel et d’exploiter l’énergie, la bonne volonté et les conquêtes sociales des gays, des lesbiennes et des bisexuels, obtenues après des décennies de lutte, la théorie queer est tout sauf progressiste. En effet, s’oppose totalement à l’attirance pour le même sexe. Comme le souligne la professeure de l’université de Cardiff Alessandra Tanesini : « l’opposition à tout point de vue considérant l’orientation sexuelle comme pouvant relever d’autre chose que d’une pure construction sociale constitue un trait caractéristique de la théorie queer[4] ». Ainsi, l’attirance pour le même sexe devient une préférence pouvant être désapprouvée ou considérée comme sectaire parce qu’excluante. Des nouveaux habits de l’homophobie[5]. Contrairement à l’idéologie transgenre, qui repose sur la théorie queer, cette dernière est liée à des figures clés ainsi qu’à un corpus de littérature que nous pouvons interroger. Dans cette série d’essais, je commencerai par aborder les fondements postmodernes de la théorie queer avant d’examiner cette théorie elle-même et ses inclinations pédophiles.
I. Michel Foucault et les fondations postmodernes de la théorie queer
La théorie queer s’est construite sur les traditions philosophiques qu’on appelle parfois poststructuralisme et postmodernisme. Michel Foucault est considéré comme le père fondateur de cette nouvelle façon de conceptualiser la réalité et la condition humaine[6]. L’historienne Tamsin Spargo affirme que « l’analyse de Foucault des interrelations entre la connaissance, le pouvoir et la sexualité a été le catalyseur intellectuel le plus important de la théorie queer[7] » et la philosophe Margaret A. McLaren remarque que « le travail de Foucault a été fondamental pour la théorie queer[8] ». Foucault avançait par exemple l’idée selon laquelle le pouvoir et la coercition, loin d’être imposés d’en haut, seraient relationnels et omniprésents, et construits par le discours. Comme l’explique Jane Clare Jones, Foucault suggérait « que les régimes discursifs – en tant que régimes de pouvoir/de connaissance – produisent les sujets qu’ils prétendent décrire[9] ».
En pratique, cela signifie par exemple que le viol constitue la manière dont nous construisons discursivement une victime et un agresseur plutôt que l’acte physique du viol lui-même. De plus, Foucault considérait que l’idée selon laquelle de véritables ou réelles structures sous-tendaient les évènements ou des éléments matériels comme les écrits était une erreur. La reconceptualisation par Foucault de la triade discours, pouvoir et connaissance donna le jour à une nouvelle réflexion sur la résistance. La transgression des normes, et en particulier des normes sexuelles, devint la seule opposition aux règles et aux catégorisations. Dans la pensée foucaldienne, telle était la lutte contre l’oppression et le pouvoir. Si la remise en question de l’hétéronormativité par Foucault était pertinente, la diffusion de son idée selon laquelle toutes les normes seraient mauvaises et selon laquelle la libération des sexualités déviantes réprimées constituerait une bonne chose pose de sérieux problèmes.
Des féministes participèrent à la démocratisation des normes culturelles selon lesquelles le viol est mauvais et les enfants ne peuvent consentir à une activité sexuelle. Dans le cadre du postmodernisme, et donc de la théorie queer, ces pratiques – le viol et l’abus sexuel des enfants – sont considérées comme des transgressions des limites, malheureusement réprimées, des défiances du pouvoir participant à l’émancipation de l’individu. Foucault, par exemple, présente la vindicte d’un pédophile comme une intolérance collective mesquine, au travers de laquelle le discours construisait un délinquant et une victime et imposait le pouvoir de l’État à un individu. Foucault explique comment
« Un jour de 1867, un ouvrier agricole, du village de Lapcourt, un peu simple d’esprit, employé selon les saisons chez les uns ou les autres, nourri ici et là par un peu de charité et pour le pire travail, logé dans les granges ou les écuries, est dénoncé : au bord d’un champ, il avait, d’une petite fille, obtenu quelques caresses, comme il l’avait déjà fait, comme il l’avait vu faire, comme le faisaient autour de lui les gamins du village ; c’est qu’à la lisière du bois, ou dans le fossé de la route qui mène à Saint-Nicolas, on jouait familièrement au jeu qu’on appelait “du lait caillé”. Il est donc signalé par les parents au maire du village, dénoncé par le maire aux gendarmes, conduit par les gendarmes au juge, inculpé par lui et soumis à un premier médecin, puis à deux autres experts qui, après avoir rédigé leur rapport, le publient. L’important de cette histoire ? C’est son caractère minuscule ; c’est que ce quotidien de la sexualité villageoise, ces infimes délectations buissonnières aient pu devenir, à partir d’un certain moment, objet non seulement d’une intolérance collective, mais d’une action judiciaire, d’une intervention médicale, d’un examen clinique attentif, et de toute une élaboration théorique[10]. »
Le tort dans cette histoire, selon Foucault, était « l’investigation autoritaire » imposée à ce « niais de village » qui ne faisait que donner « quelques sous aux fillettes pour des complaisances que lui refusaient les plus grandes[11] ». J. C. Jones fournit d’autres informations sur le traitement par Foucault de cet incident d’abus sexuel d’enfants. Elle explique comment
« Avec la publication des Anormaux – ses conférences de 1974–75 au Collège de France – nous savons désormais que le traitement de l’affaire par Foucault dans L’Histoire de la sexualité n’était pas une première. À cette occasion, il fournit plus de détails sur ces “caresses obtenues” (détails qu’il ne souhaitait pas consigner dans ce livre), tout en continuant de verser dans un obscurantisme inébranlable et en assurant son auditoire que l’affaire, “vous allez le voir”, est “d’une extrême banalité”. […] L’ouvrier agricole nommé – drolatiquement, selon Foucault – Jouy, a été, apprend-on, “dénoncé […] par les parents d’une petite fille qu’il aurait à moitié, en partie, peu ou prou violée”. L’agression se produit “le jour de la fête du village” lorsque “Jouy entraîne la petite Sophie Adam (à moins que ça soit Sophie Adam qui ait entraîné Charles Jouy, peu importe) dans le fossé de la route qui conduit à Nancy. Là, il se passe quelque chose : moitié viol, peut-être”. Mais il n’y a pas lieu de s’en inquiéter. Jouy, rassurez-vous, “donne très honnêtement quatre sous à la petite fille”, qui, tout à fait imperturbable, “court aussitôt à la foire acheter des amandes grillées”.[12] »
La violence sexuelle et le fait d’abuser d’enfants sexuellement sont « d’une extrême banalité » pour Foucault. Il présente le don d’argent comme l’achat du consentement de l’enfant après l’acte, ce qui change la réalité de l’événement. L’idée selon laquelle l’altération du discours modifie l’expérience et la vérité est particulièrement utile pour la théorie queer et sa campagne en faveur des droits sexuels des hommes et de la pédophilie.
Malgré la prétendue banalité des rapports sexuels d’adultes avec des enfants, Foucault demeure préoccupé par la législation sur l’âge du consentement. En 1977, il signe une pétition adressée au Parlement français demandant l’abolition de toute législation relative à l’âge du consentement, ce qui revient à légaliser la pédophilie[13]. En 1978, Foucault participe à un débat dans une émission de radio lors de laquelle, une fois de plus, est affirmé que la législation concernant l’âge du consentement devait être abolie et que la sexualité des enfants et leur prétendu désir d’avoir des relations sexuelles avec des adultes devaient être reconnus. Ce débat sera publié sous le titre La Loi de la pudeur dans la revue Recherches n°37 d’avril 1979, avant d’être inclus dans le recueil Dits et Écrits 1976–1979 de Foucault. Guy Hocquenghem résume la position des trois penseurs masculins :
« Il y a maintenant six mois, nous avons lancé une pétition qui demandait l’abrogation d’un certain nombre d’articles de loi, notamment ceux qui répriment les rapports entre majeurs et mineurs, ainsi que ceux qui répriment l’incitation de mineurs à la débauche et la décriminalisation des rapports entre majeurs et mineurs en dessous de quinze ans. […] Beaucoup de gens l’ont signée, des gens qui se recrutent dans tout l’éventail politique, qui vont du Parti communiste à Mme Dolto[14]. »
Il s’agit ici d’une tentative de justification de la légalisation de la pédophilie fondée sur sa popularité supposée. Lors de ce débat radiodiffusé, on observa également une surprenante défense des vidéos d’abus sexuels d’enfants. Hocquenghem affirme que :
« Que la pornographie enfantine soit le plus terrible des scandales actuels, la disproportion même entre le sujet évoqué, la pornographie enfantine, même pas la prostitution, et l’immensité des drames et des répressions que peuvent subir par exemple les Noirs aux États-Unis, saute aux yeux[15]. »
Oui, très sérieusement, dans cette émission radiophonique d’une conversation entre Foucault et deux de ses contemporains, on affirme que, parce que les Noirs souffrent du racisme en Amérique, les abus sexuels d’enfants devraient être filmés et distribués. C’est à n’y rien comprendre. Foucault soutient, lui, que : « Peut-être l’enfant avec sa sexualité propre a pu désirer cet adulte, peut-être même a‑t-il consenti, peut-être même a‑t-il fait les premiers pas. » Il affirme aussi que la législation concernant les « rapports de la sexualité enfantine et adulte » [était] « entièrement contestable[16] ». Tel était le père fondateur du postmodernisme, dont le travail inspira l’avènement de la théorie queer. Hocquenghem poursuit en affirmant :
« Il y a tout un mélange de notions qui permettent de fabriquer cette notion de crime, ou d’attentat à la pudeur, un mélange très complexe sur lequel on n’a pas le temps ici de disserter longuement, mais qui comprend à la fois des interdits religieux sur la sodomie, à la fois des données complètement nouvelles comme celles auxquelles Michel Foucault a fait allusion, sur ce qu’on croit savoir de la totale étrangeté de l’univers enfantin et de l’univers adulte. Mais l’évolution globale, indiscutablement, maintenant, c’est non seulement de fabriquer un type de crime qui est tout simplement le rapport érotique ou sensuel entre un enfant et un adulte, mais, d’autre part, puisque ça peut s’isoler sous la forme d’un crime, de créer une certaine catégorie de la population définie par le fait qu’elle s’adonne à ces plaisirs-là[17]. »
Oui, ces hommes ont publiquement soutenu que la pénétration d’enfants par des adultes était un crime inventé parce que les gens, ignorants et arrogants, considéraient que la perception du monde de l’enfant différait de celle de l’adulte (« ce qu’on croit savoir de la totale étrangeté de l’univers enfantin et de l’univers adulte »). Leur prochaine campagne aurait pu être en faveur d’enfants Premiers ministres, d’enfants philosophes et s’ils avaient eu besoin de soins médicaux, peut-être auraient-ils permis à un enfant de les leur prodiguer ? Lorsque les abuseurs sexuels avancent l’argument selon lequel les enfants peuvent comprendre et apprécier les relations sexuelles avec des adultes, ils ne l’appliquent jamais à d’autres aspects de la vie. Cette notion de consentement de l’enfant et de concentration de l’enfant sur les activités de ses organes génitaux est reprise par la théorie queer dans le concept d’enfant transgenre. Avec un tel pedigree intellectuel, faut-il s’étonner que d’aucuns tirent la sonnette d’alarme ?
Le troisième intervenant, Jean Danet, théorise davantage le consentement et la pédophilie. Il fait valoir que
« Quand nous disons que le problème du consentement est tout à fait central dans les affaires de pédophilie, nous ne disons pas que le consentement est toujours là, bien entendu. Mais, et c’est là où on peut dissocier l’attitude de la justice dans le cas du viol et dans le cas de la pédophilie, dans le cas du viol, les juges considèrent qu’il y a une présomption de consentement de la part de la femme, et qu’il y a à démontrer le contraire. Alors qu’en matière de pédophilie, c’est l’inverse. On considère qu’il y a une présomption de non-consentement, une présomption de violence, même dans le cas où on n’a pas pu inculper d’attentat à la pudeur avec violence ; dans le cas où on s’est rabattu sur le texte de l’attentat à la pudeur sans violence, c’est-à-dire du plaisir consenti. Parce qu’attentat à la pudeur sans violence, il faut bien dire que c’est la traduction répressive et juridique du plaisir consenti. Il faut bien voir comment on manipule le système des preuves ; de façon inverse dans le cas du viol de femmes et dans le cas de l’attentat à la pudeur pédophile[18]. »
Cette idée de « plaisir consenti » chez l’enfant est extrêmement contestable. Les femmes disposent des facultés et de la compréhension nécessaires pour s’engager dans une activité sexuelle, pas les enfants. Foucault soutient pourtant qu’« une barrière d’âge fixée par la loi n’a pas beaucoup de sens. Encore une fois, on peut faire confiance à l’enfant pour dire si oui ou non il a subi une violence[19]. » Foucault ajoute que « supposer que du moment qu’il est un enfant on ne peut pas expliquer ce qu’il en est, que du moment qu’il est un enfant il ne peut pas être consentant : il y là deux abus qui sont intolérables, inacceptables[20] ». Le père du postmodernisme et grand-père de la théorie queer soutient donc que l’idée selon laquelle un enfant ne pourrait pas consentir à une activité sexuelle avec un adulte, ne pourrait pas concevoir ce qu’est un abus est « intolérable » et « inacceptable ». Comment des penseurs promouvant de telles vues peuvent-ils être considérés comme des génies de la philosophie ? Cette reconceptualisation de l’inacceptable, cette idée selon laquelle le langage fabrique la réalité constitue la base de la théorie queer.
[Note du traducteur : Lors d’un autre entretien avec plusieurs intellectuels, à la fin des années 1970, Foucault s’exprime sur le sujet de la pédophilie. Il mentionne le « problème de l’enfant que l’on séduit. Ou qui commence à vous séduire. Est-ce qu’il est possible de proposer au législateur de dire : un enfant consentant, un enfant qui ne refuse pas, on peut avoir avec lui n’importe quelle forme de rapport, cela ne relève aucunement de la loi ? » Il répond ensuite lui-même à sa propre question : « Je serais tenté de dire : du moment que l’enfant ne refuse pas, il n’y a aucune raison de sanctionner quoi que ce soit[21]. » La position de Michel Foucault sur le viol — du moins, sa position à un moment donné de sa brillante carrière, car ainsi que le note Jean-Marc Mandosio dans son excellente critique du personnage intitulée Longévité d’une imposture : Michel Foucault, il changeait assez régulièrement de position sur à peu près tous les sujets, en fonction, souvent, du sens du vent — sa position sur le viol, donc, était également assez terrible. Il estimait en effet que le viol était une agression physique comme les autres, comme un coup de poing au visage, et c’est à peu près tout. Cette position lui fut vivement reprochée, entre autres, par de nombreuses féministes[22].]
II. Gayle Rubin, qui compte parmi les fondateurs de la théorie queer, estimait que la pédophilie était une simple orientation sexuelle.
L’anthropologue culturelle Gayle Rubin est considérée comme l’un des principaux théoriciens de la théorie queer. Comme Foucault avant elle, elle plaide en faveur de la légalisation et l’acceptation de la pédophilie en invoquant le consentement de l’enfant. L’université de Pittsburgh déclare que « peu de penseurs ont eu autant d’influence sur la théorie féministe, les études sur les gays et les lesbiennes et la théorie queer que Gayle Rubin » et qu’ « à la fin des années 1970, elle a peut-être été la première à remarquer l’importance de L’Histoire de la sexualité de Michel Foucault, qui, une décennie plus tard, serait sans doute l’ouvrage le plus influent sur les débuts de la théorie queer[23] ». La bibliothèque universitaire de l’Illinois affirme que « l’essai de Gayle Rubin intitulé Thinking Sex est souvent identifié comme l’un des textes fondamentaux [de la théorie queer], qui poursuit le rejet foucaldien des explications biologiques de la sexualité en réfléchissant à la manière dont les identités sexuelles et les comportements sont hiérarchiquement organisés par des systèmes de classifications sexuelles[24] ». Tout comme Foucault, Rubin adopte une approche constructionniste de la sexualité. Cette approche s’est avérée utile dans les critiques féministes radicales de la sexualité hétéronormative – l’idée selon laquelle, dans la pratique sexuelle normale, l’homme est dominant et la femme soumise. Elle a également efficacement étayé les critiques des relations hétérosexuelles utilisées comme norme repoussant les relations gays et lesbiennes vers les marges déviantes. L’approche constructionniste possède donc son intérêt. Cependant, elle est éclipsée par le soutien de Rubin à la pédophilie. Selon Rubin, « l’idée selon laquelle le sexe en soi est nuisible aux jeunes a été ciselée dans de vastes structures sociales et juridiques conçues pour isoler les mineurs des connaissances et expériences sexuelles[25] ».
Rubin ne se réjouit pas de la lente promulgation de lois destinées à protéger les enfants des abus sexuels, elle les désapprouve. Comme Hocquenghem dans sa conversation avec Foucault, Rubin plaide pour la légalisation des images de pornographie infantile. Elle déplore que « bien que la Cour suprême ait également statué que la possession de matériel obscène à des fins privées était un droit constitutionnel, certaines lois sur la pédopornographie interdisent même la possession privée de tout matériel sexuel impliquant des mineurs[26] ». Selon Rubin, interdire la pédopornographie constitue une attaque contre les libertés civiles sexuelles. Elle affirme que « les lois produites par la peur panique de la pédopornographie sont mal conçues et mal orientées. Elles représentent des modifications profondes dans la réglementation du comportement sexuel et abrogent d’importantes libertés civiles sexuelles[27] ». Rubin défend également la North American Man/Boy Love Association (NAMBLA) (Association nord-américaine pour l’amour entre les hommes et les jeunes garçons), décrivant combien « presque personne n’a remarqué que [la législation sur l’abus sexuel des enfants] avait balayé le Congrès et les législatures des États. À l’exception de la North American Man/Boy Love Association et de l’American Civil Liberties Union, personne n’a protesté[28]. » Se pourrait-il qu’il n’y ait pas eu beaucoup d’opposition à ces lois, sauf de la part de pédophiles, pour la raison que la plupart des gens estiment à raison qu’abuser des enfants est mal ? Mais, bien entendu, le fait que la majorité des gens et des législateurs d’État considèrent l’abus sexuel des enfants comme répréhensible signifie que le postmodernisme et la théorie queer s’en feront les champions. La force motrice de cette philosophie est la remise en question des normes sociales, considérées comme mauvaises parce qu’elles sont des normes, et la démocratisation de ce qu’on considère donc comme des sexualités déviantes.
Par la suite, Rubin décrit les hommes adultes abusant sexuellement des enfants de sexe masculin comme ayant une « orientation érotique » méritant d’être défendue[29]. Rubin affirme que parce que ces hommes adultes abusent sexuellement de jeunes garçons, « la police s’est régalée avec eux » et que dans « vingt ans […] il sera beaucoup plus facile de montrer que ces hommes ont été les victimes d’une chasse aux sorcières sauvage et imméritée. Beaucoup de gens seront embarrassés par leur collaboration à cette persécution[30]. » En plus de présenter la pédophilie comme une sexualité persécutée, Rubin recourt à l’argument du mauvais côté de l’histoire, que des commentateurs comme Owen Jones aiment tant utiliser contre les femmes qui défendent la réalité physique et les droits sexuels. Rubin compare systématiquement l’opposition à la pédophilie à l’opposition à l’homosexualité. Elle soutient que les lois sur la protection de l’enfance s’apparentent à la législation anti-gay. Ce rapprochement constant entre homosexualité et pédophilie, comme s’il s’agissait d’une seule et même chose, est une des principales horreurs de son travail universitaire. Les bibliothécaires de l’Université de l’Illinois prétendent pourtant que Rubin aurait démontré, dans son essai, « la manière dont certaines expressions sexuelles sont davantage valorisées que d’autres, ce qui favorise la persécution de ceux qui adhèrent à d’autres expressions sexuelles[31]. » Rubin présente effectivement la pédophilie comme une sexualité opprimée. Elle considère que « les castes sexuelles les plus méprisées comprennent actuellement les transsexuels, les travestis, les fétichistes, les sadomasochistes, les travailleurs du sexe tels que les prostituées et les modèles pornographiques, et les plus honnis de tous, ceux dont l’érotisme transgresse les frontières générationnelles[32] ». Cette déclaration de Rubin met en lumière le fait que la tentative de normaliser et de « libérer » la pédophilie en la liant à la normalisation du « transvestisme, des fétichistes, des sadomasochistes, des travailleurs du sexe » dure depuis vingt ans. Rubin s’est plaint qu’au moment où elle écrivait, dans le DSM-III, « le fétichisme, le sadisme, le masochisme, la transsexualité, le travestissement, l’exhibitionnisme, le voyeurisme et la pédophilie [étaient] assez fermement catégorisés comme des troubles psychologiques[33] ».
« Les sexualités ne cessent de sortir du Manuel de diagnostic et de statistique (DSM) pour entrer dans les pages de l’histoire sociale. Actuellement, plusieurs groupes tentent de reproduire les succès des homosexuels. Les bisexuels, les individus sadomasochistes qui préfèrent les rencontres intergénérationnelles [les pédophiles], les transsexuels et les travestis sont tous à des stades divers de formation de communauté et d’acquisition d’identité.[34] »
L’ouvrage de Rubin, qui constitue une pièce maîtresse de la théorie queer, expose l’existence d’un programme. Cette phrase – « les individus sadomasochistes qui préfèrent les rencontres intergénérationnelles » – édulcore l’horreur de ce qu’elle souhaite normaliser : on parle de personnes qui agressent et abusent sexuellement des enfants. Rubin se lamente de ce que « la loi soit particulièrement féroce dans le maintien d’une séparation entre l’innocence de l’enfance et la sexualité de l’adulte[35] ». D’aucuns estimeraient qu’il s’agit là d’une chose positive. Pas selon la théorie queer. Il convient de noter que Rubin place le mot « innocence » entre guillemets, suggérant ainsi que les enfants eux-mêmes sont actifs et désireux d’être victimes de leurs propres abus. En cela, nous pouvons détecter les ondulations de la pensée de Foucault. Enfin, Rubin dénonce la manière dont « les adultes qui s’écartent trop des normes conventionnelles de conduite sexuelle se voient souvent refuser tout contact avec les jeunes, même les leurs[36] ». En d’autres termes, selon Rubin et les théoriciens queer qui partagent ses vues, la législation qui interdit aux pédophiles de travailler avec des enfants représente une force d’État oppressive. Que Rubin soit de cet avis n’est pas surprenant. Le démantèlement des lois et des normes culturelles interdisant le libre exercice de la sexualité – lequel comprendrait la pédophilie – et l’élimination des limites restreignant les prérogatives de la sexualité masculine constituent des incitatifs de la théorie queer.Il se trouve qu’une ancienne partenaire de Rubin, Pat Califia, est une théoricienne queer encore plus estimée dans le milieu. Alassandra Tanesini souligne comment « Butler 1990 et Sedgwick 2008 sont souvent considérés comme les déclarations fondatrices dans le domaine [de la théorie queer] », mais « tout aussi important est Califia 2000, qui propose une défense libertaire radicale du sadomasochisme, du sexe intergénérationnel et de la pornographie[37] ». C’est ainsi, sans aucune honte, qu’au travers du travail de Pat Califia, il nous est une fois de plus donné de constater que la promotion du sadomasochisme, de la pédophilie et de la pornographie est au fondement de la théorie queer. Il est intéressant de noter que les universitaires sont conscients que Califia soutient la pédophilie, mais qu’ils ne considèrent pas cela comme un problème et continuent à enseigner ses œuvres aux étudiants comme autant d’illustrations d’une audacieuse manière de penser. Linda LeMoncheck, par exemple, professeure de philosophie à l’université d’État de Californie, s’avère très élogieuse en recommandant « pour une excellente vue d’ensemble de la position des radicaux sexuels sur la pédophilie, le S/M et d’autres types de différence sexuelle, de se référer au livre Public Sex de Pat Califia[38] ». Ainsi, sur le conseil de LeMoncheck, c’est vers Public Sex de Califia que nous nous tourno