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bouhamidimohamed

Fiodor Dostoïevski, la Russie, les Slaves et l'Occident

16 Avril 2022 , Rédigé par bouhamidi mohamed Publié dans #-résistances culturelles, #Europe, #questions internationales

Fiodor Dostoïevski, la Russie, les Slaves et l'Occident
Texte de Fiodor Dostoeivski 
La Russie doit sérieusement se préparer à voir tous ces Slaves libérés se précipiter avec ravissement vers l'Europe pour être infectés par des formes européennes, tant politiques que sociales, au point de perdre leur propre personnalité ; et ainsi ils devront traverser toute une longue période d'européanisme avant de comprendre quoi que ce soit de leur propre signification en tant que Slaves et de leur mission slave particulière parmi l'humanité. Ces petits pays se querelleront éternellement, s'envieront éternellement et comploteront les uns contre les autres.
Bien sûr, dès qu'il y aura une catastrophe grave, ils se tourneront certainement vers la Russie pour obtenir de l'aide. Peu importe à quel point ils répandent la haine, les commérages et les calomnies contre nous en Europe alors qu'ils flirtent avec elle et l'assurent de leur amour, ils sentiront toujours instinctivement (dans un moment de catastrophe, bien sûr, mais pas avant) que l'Europe est l'ennemi naturel de leur unité, qu'elle a toujours été et sera toujours, et que s'ils existent dans le monde c'est naturellement parce qu'il y a un gigantesque aimant, la Russie, qui les attire tous irrésistiblement à elle et maintient ainsi leur intégrité et leur unité . Il y aura même des moments où ils seront capables presque consciemment de convenir que sans la Russie, le grand centre de l'Est et la grande force d'attraction,

Fiodor Dostoïevski, Sur la question slave , novembre 1877
 

 

 

UN MOT D’EXPLICATION AU SUJET DU DISCOURS SUR POUSCHKINE PUBLIÉ PLUS LOIN

 

Mon discours sur Pouschkine, prononcé cette année, le 8 juin, devant la société des Amis de la Littérature russe, a produit une grande impression. Ivan Serguieïvitch Aksakov, qui a dit de lui-même, qu’on le regardait comme le représentant des Slavophiles, a déclaré que ce discours était « un événement ». Ce n’est pas pour me louer moi-même que je rappelle cela, mais bien pour affirmer que si mon discours est un événement, il ne peut l’être qu’à un seul et unique point de vue, que j’indiquerai plus loin.

Mais voici ce que j’ai voulu faire ressortir dans ce discours sur Pouschkine.

1° Que Pouschkine, le premier, esprit profondément perspicace et génial, a su expliquer ce phénomène bien russe de notre société intelligente « déracinée » de la glèbe natale, et se séparant nettement du peuple. Il a campé devant nous, avec un relief intense, notre type d’homme agité, sceptique, sans foi dans le sol de sa patrie, négateur de la Russie et de soi-même, et souffrant de son isolement.

Aleko et Oniéguine ont engendré une foule de types pareils dans notre littérature. Après eux, sont venus les Petchorine, les Tchitchikoff, les Roudine, les Lavretzky, les Bolkonsky (dans la Guerre et la Paix du comte Tolstoï) et plusieurs autres qui ont témoigné de la puissance d’observation de Pouschkine. Gloire donc à son immense esprit, à son génie qui a indiqué la plaie encore saignante de notre société, telle que l’a faite la grande réforme de Pierre le Grand. Nous lui devons le diagnostic de notre maladie et c’est lui, le premier aussi, qui nous a donné quelque espoir. Il nous a fait voir que la société russe pouvait guérir, se renouveler si elle se retrempait dans la vérité nationale, parce que :

2° Il nous a, le premier encore, tracé des types de beauté morale russe, qu’il a été chercher sur notre glèbe même, Tatiana, par exemple, la femme essentiellement russe, qui a su se garder du mensonge. Il a évoqué pour nous des types historiques, comme le moine et tant d’autres, dans Boris Godounov, comme ceux que l’on trouve dans la Fille du Capitaine, dans ses vers, dans ses contes, dans ses mémoires et même dans son Histoire de la révolte de Pougatschev. Ce qu’il faut surtout faire remarquer, c’est que tous ces types de la beauté morale russe sont choisis dans le milieu populaire. Car, disons-le franchement, ce n’est pas dans notre classe « instruite à l’européenne », que l’on peut trouver de ces belles figures : c’est dans le peuple russe et uniquement en lui. Si bien que je répète, qu’après avoir désigné la maladie, il a donné le remède, l’espoir : « Ayez foi dans l’esprit populaire, et de lui vous viendra le salut. » Il est impossible de ne pas arriver à cette conclusion après avoir approfondi Pouschkine ;

3° Pouschkine est le premier et le seul chez lequel on puisse constater le génie artistique à un pareil degré, uni à la faculté de pénétrer le génie des autres nations. Ailleurs, il y a eu d’immenses génies, des Shakespeare, des Cervantes, des Schiller, mais nous ne voyons pas chez eux cette compréhension de l’âme humaine universelle que nous rencontrons chez Pouschkine. Je n’avance pas cela pour amoindrir les grands créateurs occidentaux qui ont, comme Shakespeare dans Othello, évoqué des types humains éternels, mais je veux dire que seul Pouschkine a pu, à son gré, sans cesser d’être original, pénétrer profondément l’âme des hommes de toutes races, parce que :

4° Cette faculté est absolument russe, nationale, et que Pouschkine n’a fait que la partager avec tout le peuple russe. Il ne faut pas s’indigner si je répète que c’est grâce à cette aptitude que « notre terre misérable » sera celle d’où s’élèvera une « parole nouvelle universelle ». Il est absurde d’exiger que nous ayons achevé notre évolution scientifique, économique et sociale, avant de prononcer cette parole nouvelle, qui doit améliorer le sort de nations prétendues aussi parfaites que les nations européennes. J’ai eu soin, dans mon discours, de dire que je ne songeais pas à placer la Russie au même niveau que les pays d’Occident, au point de vue glorieux de l’économie politique. Je répète seulement que le génie du peuple russe est peut-être le seul capable de créer la fraternité universelle, d’atténuer les dissemblances, de concilier les contradictions apparentes. Ce n’est pas un trait économique de notre race. C’est un trait moral. Les trésors moraux ne dépendent pas du développement économique. Les 80 millions de notre population représentent une telle unité spirituelle, inconnue partout ailleurs en Europe, qu’il ne faut pas dire de notre terre qu’elle est si misérable ! Dans cette Europe si riche de tant de façons, la base civile de toutes les nations est sapée ; tout cela peut s’écrouler demain, et pour l’éternité. Il surgira alors quelque chose d’inouï, quelque chose qui ne ressemblera à rien de ce qui a été. Toutes les richesses amassées par l’Europe ne la sauveront pas de la chute, car en un seul moment « toute la richesse disparaîtra ». Et c’est cette organisation civique, pourrie et sapée, que l’on montre à notre peuple comme un idéal vers lequel il doit tendre ! Je prétends, moi, que l’on peut porter en soi un trésor moral sans posséder la moindre méthode économique. S’il nous faut, avant d’unifier l’Europe et le monde, devenir une nation riche, faudra t-il, pour cela, emprunter tous les systèmes économiques européens, toute une organisation destinée à périr demain ? Ne nous permettra-t-on pas de nous développer de nous-mêmes, selon notre tempérament ? Il faut imiter servilement l’Europe ? « Mais notre peuple ne nous le permettra pas », disait récemment quelqu’un à un fervent « occidental ». — « Eh bien ! exterminez le peuple ! » répondit paisiblement l’ « occidental ». Et celui-ci n’était pas le premier venu, mais bien un des « représentants de l’intelligence russe ». Ce dialogue est vrai, pris sur nature.

Fiodor Dostoïevski -​​​​​​Discours sur Pouchkine 

 

 

 

 

 

 

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