Préparer une réunion, débattre d’une plate-forme, l’adopter et élire un comité pour la défendre.
Par Mohamed Bouhamidi.
Un grand nombre de jeunes amis m’ont fait part de leurs difficultés à réunir leurs collègues, confrères ou condisciples pour arriver à ce consensus de sortie de crise espérée par tous. Bien que maîtres en communication, la mobilisation disciplinée du Hirak le prouve, ils ont des difficultés pour passer du stade de la communication sociale, tellement importante, au stade de l’organisation politique. Ils trouvent de multiples obstacles.
Les manifestants, une fois sur le lieu de travail, retrouvent leurs pluralités d’opinions politiques, sociales, culturelles. Cela signifie que la seule force de cohésion du Hirak réside juste dans ce refus profond viscéral du 5ème mandat. Ce refus s’est approfondi par le refus du contenu des mandats précédents, le pillage des ressources et des revenus de l’Etat, la gestion par copinage et en dehors de toute légalité, la répression de toute protestation, l’acceptation des ingérences étrangères en échange d’une protection, etc.
Passer de l’unité par le refus à la réflexion et l’organisation c’est obligatoirement passer de l’unité à la pluralité, ouvrir la porte à des divergences de points de vue et certainement à des visions contraires. Comme on dit en philosophie toute unité contient une multiplicité et les deux passent de l’une à l’autre.
Réfléchir notre multiplicité et renforcer notre unité
Or, c’est bien pour offrir le droit à la divergence à chacun de nous que nous nous sommes révoltés contre la caste des oligarques, sa politique de répression, de déni des droits, de refus d’une Algérie harmonieuse unie dans sa diversité.
Pour passer à l’action politique de construction, l’action d’affirmation (notre vision de la nouvelle Algérie) après l’étape de négation (refus de toutes les politiques de la caste des oligarques) il faut donc retenir du négatif ce qui construit notre positif. Et donc, chaque groupe qui veut débattre et se construire un point de vue doit suivre cette voie naturelle d’identifier d’abord ce qu’il rejette comme politique et donc tout à fait comme l’a fait notre peuple. Puis, il étudie et analyse ce qu’il voudrait que l’Algérie soit.
La difficulté à ce moment est que l’option idéologique prime sur le programme. Dans ce que le Hirak a rejeté figure au premier plan la censure et la répression. En partant de ce que la Hirak a rejeté sans équivoque chaque groupe politique et idéologique a droit de parole et d’action quelque soient ses options, capitalisme national, socialisme, économie sociale de marché etc., pourvu que chaque groupe politique, idéologique ou confessionnel rejette la censure et la répression.
Dans ces débats, des groupes sociaux auront plus de difficultés que d’autres. Le travail des ONG, leur savoir-faire développé par l’expérience et les compétences internationales, a inscrit fortement leurs mots d’ordre « naturels » de démocratie dont le sens immédiat est le capitalisme financiarisé, c'est-à-dire l’impérialisme. La plupart des citoyens ne voient pas la corrélation immédiate que toutes les campagnes et les guerres pour la démocratie ont été des campagnes pour le capitalisme.
Mais leur démarche est une démarche normale de la politique. L’action politique est toujours celle des groupes. Quand deux, trois ou même un seul militant veut inviter au débat, il doit d’abord préparer les points essentiels de ce qu’ils proposent.
Selon leurs penchants politiques ou idéologiques du moment, ils doivent puiser dans les déclarations déjà publiées des organisations les plus proches d’eux. Problème : les jeunes qui animent et autogèrent le mouvement n’aiment pas beaucoup faire confiance aux partis ou associations.
Comment faire alors ?
Première solution, et la meilleure, c’est de noter et reprendre dans l’ordre d’importance ce que le Hirak a exprimé. Il faut donc un travail d’analyse des slogans et mots d’ordre. L’intérêt exceptionnel de cette méthode est l’exercice et le développement de l’autonomie de pensée politique qui viendra renforcer l'autonomie de communication sociale déjà acquise. De ce passage en revue des slogans et mots d’ordre ils pourront extraire les points essentiels de leur projet de plate-forme dans sa partie négative : ce que nous ne voulons plus.
Exemples : jamais plus d’ingérence étrangère, jamais plus de concession sur le caractère incessible de nos richesses minières et pétrolières, pas de privatisation de nos banques publiques, plus de politique d’import-import de produits inutiles voire néfastes, ne jamais plus accepter de pressions étrangères ni d’accords qui limitent notre volonté et souveraineté, plus jamais de censure et de restrictions sur les libertés des algériens, plus d’algériens exclus des bienfaits de la Nation, etc. etc.
A la suite de cette partie négative, mais en réalité faussement négative, car ce processus permet d’engendrer le positif : il faut formuler le positif et toujours d’après les slogans puisque le Hirak a cette méfiance à l’égard des partis.
Ici nous avons par jeu de miroir : pour un État souverain et totalement et réellement indépendants indépendant, propriété incessible de toutes nos ressources et principalement le pétrole, pour une politique monétaire favorable à notre production nationale, protection de notre production nationale et restriction des importations au nécessaire, dénonciations des accords qui nous mettent sous souveraineté limité, adoption de lois pour garantir la liberté d’expression, d’organisation, d’édition sous la simple forme déclarative.
Bien sûr d'autres personnes moins sensibles que moi choisirons d'autres slogans ou mots d'ordre, ou les mêmes mais dans un ordre d'importance différent. Ces exemples ont juste valeur démonstrative et non de prêche, mon propre penchant pour le socialisme m'a influencé dans mes choix.
L’erreur à ne pas commettre est celle de vouloir rassembler tous les collègues ou condisciples autour du projet. Cette phase de structuration par le débat et l'identification de ses préférences politique va engendrer la naissance des courants politiques nouveaux qui rempliront le vide politique que ressentent nos différentes catégories de citoyens. Ces courants enrichiront au moins le spectre actuel.
Les projets présentés au débat, doivent chercher et viser le consensus national, l’unité nationale, une vision politique nationale en excluant l’unicité car l’unicité est l’ennemie de l’unité. La force de l’unité est la convergence des diversités quand le socle existe, le socle national.
Où débattre et s’organiser ?
Comme tous les êtres et ensembles vivants les sociétés ont des liaisons et des centres nerveux. Ce sont les lieux de travail d’où partent des communications vers l’ensemble des autres lieux de travail. C’est sur les lieux de travail ou d’étude que se trouvent concentrées les connaissances et les compétences à même de voir ce qui est bon pour notre société et notre pays. C’est donc au niveau des lieux de travail et au niveau des branches que doivent se dérouler les débats autour des différents projets auxquels les corporations pourront rajouter les meilleurs conseils pour un bon développement et un meilleur fonctionnement de leurs secteurs.
Exemple, si nous avions cette démarche, la corporation ou branche des travailleurs des banques auraient proposé les meilleurs mesures pour bloquer la fuite des capitaux, même la fuite par les chemins les plus secrets de la bureaucratie.
Ce sera alors le passage nécessaire du débat sur les lieux de travail au débat entre les délégués des différents lieux regroupés au niveau des branches et des secteurs. C’est valable pour tous les métiers et tous les secteurs sociaux : universités, éducation nationale, hôpitaux, magistrature, avocats, étudiants, artisans des différents corps (boulangerie, restauration, etc.).
Différents syndicats ouvriers ont publié des déclarations de soutien au Hirak. C’est un fait important. Avec les manifestations des éboueurs et fonctionnaires de différentes administrations les travailleurs entrent en scène. Il ne s’agit pas encore d’un retour de la classe ouvrière au sens propre du terme, mais c’est un signe important. La difficulté pour les travailleurs reste la situation d’otage de l’UGTA. Si elle était libre, l’UGTA, comme l’UGTT en Tunisie aurait joué un rôle stratégique de propositions et de stabilisation de notre révolution aux côtés de l’Armée.
Le choix des débats et organisation par branches industrielles nous permettent de faire face aux grands défis. Le comité de village ou de quartier nous met face aux questions matérielles, morales et humaines difficile à ignorer, mais il n'est pas en mesure de comprendre nos connexions pratiques et souvent cachées avec le capitalisme auquel nous rattache notre commerce et notre économie dominée. C'est dans et par les branches que nous pouvons comprendre les défis et les ruses de la mondialisation et y faire face dans la médecine et le médicaments, dans les dédales de la propriété des multinationales sur notre propre faune et flore, dans la sidérurgie, la métallurgie, la chimie, les énergies, le transport, les ports etc.
Jamais un comité de quartier ne pourra face ni même imaginer la façon de faire face au capitalisme financiarisé ni à ses outils de domination et de pillage.
Il reste les questions spécifiques des femmes et des jeunes. Ces deux catégories interviennent déjà dans leurs lieux d'études ou de travail. Mais elles portent aussi des soucis particuliers, elles sont obligées alors d'en passer par les organisations des jeunes et des femmes qui viennent de différents horizons. Ils se retrouveront entre différents secteurs et entre différents niveaux de formation. Certaines femmes seront des femmes au foyer et trop de jeunes seront certainement des chômeurs. Mais ce qui lie les femmes entre elles c'est leur condition commune et leurs lourdes tâches.
Mais nous en sommes tous au niveau de l’apprentissage. J’espère que ce papier aura été utile à mes jeunes amis qui m’ont questionné et à d’autres.
M.B