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La Baie aux jeunes filles. Fatiha Nesrine.

12 Mars 2019 , Rédigé par bouhamidi mohamed Publié dans #Notes de lecture

La Baie aux jeunes filles. Fatiha Nesrine.

Mohamed Bouhamidi

Les rêves que portent les peuples invoquent-ils comme emblèmes leurs enfants ? Ces derniers seraient alors leur prolongement dans et de leurs désirs enfantins ou peut-être même leurs ambition et  volonté de renaissance.

Cette année du 65ème anniversaire de novembre 1954 nous appelle aussi à explorer l’imaginaire en œuvre dans notre révolution nationale. La meilleure œuvre sur cette anticipation de la réalisation promise  reste certainement « La baie aux jeunes filles » de Fatiha Nesrine.

Dans un gros village étagé au dessus d’un petit port de pêche, plutôt isolé sur la presqu’île de Collo, elle-même isolée une femme s’est engagée dans la lutte de libération nationale. Elle aide, le roman ne dit pas trop comment, l’ALN. Nous en savons cependant l’essentiel qui construit la réalité esthétique de ce roman : elle est couturière ou plutôt en connait assez sur la couture pour préparer des drapeaux.

Le lien direct du rêve à la possibilité de le réaliser par anticipation est l’autonomie que ce savoir coudre donne à la maman face au conservatisme  d’une société et d’un père repliés, crispés sur une des formes les plus anciennes  de notre résistance populaire :  le refus d’envoyer les enfants à l’école française par refus et peur de la dépersonnalisation induite par cette école. Ailleurs déjà, dans notre pays, depuis les années 1920 puis de façon accélérée depuis 1930 on consent à envoyer les garçons à l’école française pour prendre toute la part possible de la science française à utiliser dans notre combat. Mais on accepte beaucoup moins d’y envoyer  les filles.
La moudjahida décide, elle, d’envoyer sa fille, en secret à l’école, clandestinement sans en informer le père. La clandestinité et la dissimulation, elle devait en avoir assimilé quelques secrets mais sans son savoir de couturière comment offrir à la petite un tablier d’écolière et quelques effets scolaires ?

La petite fille, elle rêve, d’une autre façon, de ces rêves d’enfants émerveillés devant des murets de jardins, des secrets d’herbes folles, des chants de grillons, du ciel qui lui parle. Mais elle rêve beaucoup de cette baie aux jeunes filles, lieu consacré aux baignades des femmes et peut-être même à quelques rites marins oubliés. Nous avons tant de légendes féminines sur la mer et tant de rituels curatifs dans son eau et ses vagues.

La petite fille est toute aux jeux des lumières, aux secrets de derrière les clôtures, de ces pousses miraculeuses  jaillies de l’interstice de la pierre, aux appels de l’iode.

La mère terminera en été la couture du tablier. Fatiha aura son nécessaire d’écolière. Elle ira à l’école à l’insu de son père. Il sort pour son travail bien trop tôt et rentre bien trop tard. Il travaillait de « la nuit à la nuit » comme le disait la formule des ouvriers agricoles des domaines coloniaux. 

La clandestinité la plongera dans un autre monde. Il sentira plus fort le regard de son père et y cherchera constamment l’éveil d’un soupçon. Elle se mordra les lèvres plus d’une fois, mais pour sa mère, elle avait réalisé, en avance, pour ce lieu isolé de notre pays, une promesse de l’indépendance. 

La petite fille sortira cependant difficilement de ses interrogations. Elle avait le droit de se teindre les mains au henné, ou les cheveux, ou les pieds mais pas les ongles. Mais pourquoi pas les ongles ? Vous connaissez question plus essentielle que le sens de l’interdit surtout que pour se teindre les ongles une petite écolière n’a que l’encre de l’école interdite et pour jeu principal celui de la maisonnée ?

Tout le roman est habité par cet imaginaire d’enfant balancée entre les merveilles du monde  naturel qui l’entoure, les questionnements sur un personnage singulier aux savoirs magiques des jardins et des plantes, le regard de son père et la présence de ce monde dans lequel elle entre un peu de force.

Extraordinaire aventure ou destin  de cette fillette sur laquelle se sont concentrés au-delà de son caractère doux et rêveur, les contenus sociaux et les rêves d’émancipation féminine.

Mais écriture extraordinaire de beauté dans sa simplicité même qui nous mère vers une lecture onirique de notre guerre de libération.
Ce n’est pas peu.

M.B

La Baie aux jeunes filles. Fatiha Nesrine. Thala éditions - Alger 2005 - 143 pages

 

Source : Horizons du 13 mars 2019.

 

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