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Notes d’une musique ancienne. Salah Benlabed

11 Décembre 2018 , Rédigé par bouhamidi mohamed Publié dans #Notes de lecture

Notes d’une musique ancienne. Salah Benlabed

Par Mohamed Bouhamidi.

 La mémoire reconstruit les souvenirs à l’annonce de la mort du figuier qu’on avait planté pour lui. Un figuier peut-il mourir si facilement et, déraciné, montrer des racines si desséchées qu’il pouvait être mort de l’absence de son maître ?

Ou alors, qui donc sont ces morts, que la mort du figuier représente ou symbolise, lui qui peut pousser partout et survivre au pire ? 

La culpabilité alors accable le personnage qui parle dans le roman et apparaît bien ancienne. Non pas une culpabilité, unique, mais comme la synthèse de culpabilités différentes qui font coalescence. Les souvenirs lui reviennent par les autres, des paroles éparses, souvent chuchotées, qu’auparavant  certains de ses parents avaient déjà déserté. Certainement pas un champ de bataille, mais une migration, une folie d’amour ou de femme, un appel de l’époque ou le besoin de bouger ; partir ressemblait à abandonner les siens et les siens dans la culture qui se déploie dans ce roman, ne sont pas que des parents mais une cause. Nous n’avions pas besoin de plus pour comprendre que nous plongions dans une société maillée dans une culture tribale encore vivace et effective.

Encore efficiente, devrait-on dire.

Cette fois cependant, l’exil du narrateur ressemble, bien trop, à la fuite pour ne pas porter dans sa conscience, et presque physiquement sur ses épaules, le poids de la culpabilité. Il s’y était décidé sur un cheveu pour échapper, peut-être, à l’assassinat inéluctable par les terroristes. Le récit laisse du doute mais pas sur la situation de terreur dans  laquelle le terrorisme a plongé le pays.

C’est que le pays n’est pas qu’un ensemble rendu invivable. Des possibilités nouvelles avaient vu le jour dans notre pays.
Avant même la date de l’indépendance, la lumière inondait les hommes, celle de la lutte d’indépendance, qui a contraint son père à quitter cette vieille citadelle de Constantine pour Alger. Tout ce qui pouvait-être était affecté par la présence coloniale, et lui en était affecté doublement  dans les conséquences sur sa vieille famille.

Mais cette lumière de la lutte avait laissé dans sa conscience d’enfant-témoin l’idée d’une autre vie qu’il a commencé à connaître d’ailleurs. Le socle économique retrouvé de sa famille, ses études, la naissance d’une intelligentsia contrariée mais déjà là.

Mais la lumière des lumières, restera cette découverte de l’amour et la quête du Sud algérien, le désert, les oasis, les voyages avec son aimée vers le sable du Sahara. Comme si tout l’enracinait dans le pays profond comme s’enracine le figuier qu’on lui avait dédié, dans la direction Sud.
Sa femme mourra dans un de ces voyages, comme si un avertissement lui signalait que ce bonheur devançait l’époque et que l’Algérie n’était pas prête à échapper au système des parentés.

Il restera de cet amour, une fille.

Il en restera aussi cette interrogation sur le terrorisme qui saisit le pays. Pas de doute sur le caractère anachronique de l’idéologie terroriste, ce surgissement de normes de pensées et de rites du fond des siècles qui viennent interdire toute compréhension du monde nouveau, des rapports nouveaux dans notre monde actuel.

Le terrorisme va passer de l’information d’assassinats lointains, à la rumeur qu’il frappe de plus en plus près, au coup de fil d’un ami fonctionnaire qui reçoit la menace de mort par téléphone, à la mort qui  vient de frapper le voisin.

 

L’exil, le départ pour une zone de paix, devient une issue. Il voudra donner une chance à sa fille de survivre et de survivre lui-même.
Ce n’est pas tout à fait dans la tradition familiale. Partir, est-ce trahir beaucoup en temps de terrorisme ?

Benlabed ne laisse aucune chance au prétexte de la survie  et de « sauver sa peau » prendre le dessus.

Il remontera le temps, tous les temps, de sa grand-mère, de la maison ancestrale avec patio, de son père, de sa mère, de leurs vies tissées sur la même trame et sur le même métier que sa propre vie.
Le Canada – pourquoi le Canada et pas la France ? – lui offrira une issue de secours. Il se  sera ainsi réfugié hors de ce pays qui a laissé ses stigmates sur ses parents et a crispé sa mère sur toutes les formes de résistance possibles.

Reporter aux chiens écrasés d’un journal de Montréal, il devra assumer tout, pour sa fille. Il s’inscrira comme étranger définitif, venu de ce pays que les gens n’ont connu qu’aux échos des attentas et de la mort.
Sur cette terre du Canada, il croisera plusieurs types d’exil. Le sien en deviendra une histoire singulière, juste une histoire personnelle dans cette immense histoire commune des exils et de la migration du temps de la globalisation.

Chacun se débrouillera pour se garder le souvenir de cette vie singulière. Cela passe par la parole et chacun raconte, Benlabed écrit dans des carnets couleur bronze avant que ne s’échappe l’idée ou l’éclair d’un souvenir qui passe.

La mort de son père, de sa mère le ramèneront au pays pour quelques jours, le temps d’arriver in-extremis aux devoirs des grands adieux. Et de faire de la prison

Tout le roman est une lettre adressée à soi, une quête de ce que furent ces personnages centraux de sa vie ; en fait une quête de lui-même à essayer de distinguer ce qui le fait si dissemblable et si chargé d’eux-mêmes.

Le texte est d’une grande beauté, à la fois poétique, et analytique. Une interminable déclaration d’amour, qu’on ne se lasse de lire, à notre pays et à ces repères que sont l’aïeule, la mère, le père avec tout ce que la poésie permet de franchir comme tabous. Mais aussi un texte pudique, retenu, qui n’esquive le tabou que par la force de la tendresse.

Sa fille grandie, là-bas au Canada, voudra plus tard revenir au pays, comme si elle ne pouvait survivre que dans les inconforts qu’on lui en a décrits ou que dans le rêve des sables qui ont bercé l’amour de ses parents.

Que deviendra alors la mémoire ? Celle de sa vie, de son pays, de sa fille ? Un roman, peut-être ? Un roman qui casse en tous cas, les préjugés, les clichés, les raccourcis dans cette longue quête amoureuse, d’un pays Algérie.

M. B.

Notes d'une musique ancienne. Salah Benlabed. Editions APIC 2010 Alger. (2007 pour le Canada Editions de la Pleine Lune)- 238 pages.

Source : Horizons du 12 – 12- 2018.

 

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