Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
bouhamidimohamed

Maintenant, ils peuvent venir – Arezki Mellal

6 Novembre 2018 , Rédigé par bouhamidi mohamed Publié dans #Notes de lecture

Maintenant, ils peuvent venir – Arezki Mellal

Par Mohamed Bouhamidi

Le roman s’ouvre sur une énième visite à l’hôpital, pavillon des diabétiques.

Il parlera à sa mère sur un ton accablé, celui de l’amour et de la culpabilité.

Elle le soumettait à ce chantage permanent à la mort. De son fait, du fait de son écart aux normes, de son refus de se marier avec la fille de son choix à elle, de sa folie amoureuse pour Lilia, cette fille d’émigré artiste plasticienne qui ne comprenait rien au pays, qui trouvait tout de travers et surtout étouffait d’un contrôle social tatillon qui se mettait en place par des hommes et barbes et kamis.

Ces deux s’aimaient et pour quelques heures de bonheur fou devaient rentrer dans la cité et en sortir aux heures des clandestins, des vrais. Ne pas être vus, rester coincée pour la fille si jamais la nuit de folie retardait le réveil à cause d’un vide dans les reins.

Et au chevet de sa mère il retrouvait Yasmine, fidèle à la tâche de garde-malade, attentionnée, qui ramenait sans faute la nourriture idoine, qui appelait « mère » la mère, comme le ferait une belle-fille modèle ; Yasmine belle, souple comme une étreinte d’eau, féline, lumineuse des soleils de son corps et de ce regard qui l’invitait au vertige. 

Il n’aimait pas Yasmine en dépit de cette fascination de sa beauté de diamants étalés par la mer les jours de bonheur faste. Yasmine se logera, un vendredi, dans la faille laissée par le départ de l’émigrée. Un vendredi de ces nouveaux vendredi qui mettaient nos villes au désert et toute prière à Dieu sous  la vérification des hommes, voisins ou inconnus gardiens des mœurs.
Tu ne prieras point dans l’élan de la foi, mais dans le paraître grégaire.
Il était le dissemblable de toute conformité.
Yasmine le transportera vers ces cieux de la volupté, à la fois don de l’amour et science innée de la femme désirante, souvenir on ne sait de quelles extases.

Yasmine l’épousera. La mère mourra satisfaite de son empire sur son fils et de sa bru qui le lui a attaché.

Il n’aimait pas Yasmine et le lui dira un de ces nuits d’été, au bord d’une falaise qui surplombait, trente mètres plus bas, la mer et des récifs, peut-être un récit de marin et cette île d’amour qui le poursuivait dans l’océan de ses rêves, à lui.

Ils divorceront. Elle amènera avec elle leur fils Kamel. Nous n’étions pas encore passé de l’admonestation sociale des manquements religieux à la sanction pour le couteau.

Mais nous étions déjà à mi-chemin. Le regard pénétrait déjà les maisons après que certains enseignants contrôlaient à distance les familles en interrogeant les élèves sur la piété active ou non de leurs parents.

Son père chassera Yasmine car une femme divorcée, affolante de beauté, refusant les voiles qui l’auraient  mise à disposition des seuls désirs des frères méritants, comme troisième épouse, ne pouvait être qu’une souillure. 

Les mandats de la pension alimentaire ne revenaient quand-même pas, preuve de leurs retraits.

Yasmine vivait sans ressources.

Lui, dans son usine, se défonçait au travail pour oublier et regardait travailler le jardinier, obstiné à entretenir les espaces verts et se battre, sans les bons outils, contre les herbes folles, dans l’ indifférence des travailleurs qui regardaient sans émotion leur usine du secteur public foutre le camp. Le jardinier se battra même la nuit, mais viendront, alors, le secours des gardiens, enfants du pays profond, attentionnés pour la terre.
Magnifique allégorie d’un pays qu’on laisse aller à la destruction par l’indifférence au travail d’herbes folles d’un islamisme politique qui n’a que les apparences tactiques de la religion.

Salah, son ami, le mettra face aux grands questionnements, face à la nouvelle phase qui happait notre pays dans la violence. Les groupes de la milice des mœurs s’étaient transformés en groupes armés.

Salah, communiste connu, refusait de sauver sa peau en s’expatriant. C’est ici, son pays, dans cette Algérie souffrante. Le roman gagne en intensité dramatique en éclairant d’un regard cru, le destin de ce parti des communistes dont Salah perçoit qu’il  se composait aussi de personnes dont la tête et le cœur s’attachaient au pays France.

Nous entrons avec Salah dans la douleur essentielle de cette époque : la question de savoir ce que représentait pour nous le pays et de savoir ce nous méritions de lui.
L’auteur Arezki Mellal était resté ici, au milieu de la profession la plus exposée, le journalisme auquel il a apporté son expertise de spécialiste de l’infographie et de la maquette.

Les discussions avec Salah portent la vérité de situation de l’époque avec ses infinies nuances, ses multiples et douloureuses interrogations, ses hésitations et ses incertitudes.

C’est bien pour cette raison que ce roman somptueux, le plus beau jamais écrit sur cette période, sera tenu sous l’éteignoir au profit des romans à thèses qui reflètent une idéologie plutôt que ce moment de bascule historique.

Il apprendra, par la femme de Saleh,  que Yasmine qui ne lui jamais fait appel, se terrait à la Casbah avec son fils, sans ressources et maintenant menacée par les terroristes qui ne lui pardonnait pas sa vie de femme seule.

Les terroristes tueront Salah qui avait rejoint le corps des patriotes sans quitter son adresse archiconnue ; peut-être un reflet de la mort de Lounès Djaballah ?

Il ira la chercher, et errera de la Casbah, à Bab el Oued, à El Biar, puis à Belcourt.
Il deviendra le père de Kamel lui qui n'avait pas connu le sien, dans cette cité de terreur de Sidi Ahmed qui nous rappelle étrangement Reghaïa ou Meftah.

Et une nuit de terreur glacée, Yasmine le rejoindra dans sa chmabre et en sortira  enceinte. Un rapport, un seul et naîtra Safia.
Lui est amoureux de Zakia, l’île du bonheur dans l’océan. Ils n’en feront pourtant que le voyage. Zakia est son vertige amoureux, le soleil mystérieux qui illumine son regard, l’océan infini des émotions indicibles, qui portera comme lui, jumelle inverse, la culpabilité d’une mère, qui réclamera d’elle qu’elle épouse un homme au regard de naufragé et renonce à cet infographe marié et singulier dans les lumières d’orage dont il illumine dans son corps.


Il avait deux femmes dans sa vie Zakia et Safia.

Zakia partie, Safia le bébé babillant des « je t’aime papa » deviendra toute sa vie avec son Kamel, son garçon. 
Une nuit, Safia et lui attardés par des petits riens prennent la route trop tard,  de nuit, tombent dans une opération terroriste dont il sait qu’ils ne peuvent sortir vivants.

Safia lui demande si les terroristes font mal quand ils égorgent ? Elle savait déjà.

Il est là, lui et sa fille, cachés dans un buisson, quand les terroristes sont tout près de les trouver. Quelle mort  de la main des terroristes pouvait ne pas être, non la mort, mais une souillure ?

Ce fut sa dernière question sur l’amour, la mort, la pitié.
Il étouffa sa fille contre sa poitrine et exerça la pression de ses mains sur son cou si frêle.

Elle gémit dans un dernier souffle qu'il lui faisait mal.

Maintenant, ils pouvaient venir.

M.B

Maintenant, ils peuvent venir – Arezki Mellal -Roman -Editions Barzakh -Alger - septembre, 2000 - 160 pages.

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article