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Les Gardois contre la guerre d’Algérie. Bernard Deschamps. Préface d’Henri Alleg.

13 Novembre 2018 , Rédigé par bouhamidi mohamed Publié dans #Notes de lecture

Les Gardois contre la guerre d’Algérie. Bernard Deschamps. Préface d’Henri Alleg.

Par Mohamed Bouhamidi.

Né en 1932, militant engagé pour les droits des peuples, objecteur de conscience de 1953 à 1955, Bernard Deschamps avait vingt- deux en novembre 1954 et en pleine vigueur de ses engagements militants. Cela explique certainement la force de son livre, de son travail de témoignage transformé par ses qualités et sa formation, en livre d’histoire.
Car « Les Gardois contre la guerre d’Algérie » est bien un livre d’histoire et au plus haut degré. Le lecteur trouvera investi, dans ce livre, un travail de minutie dans le recueil des faits les plus infimes avec les références documentaires. Articles de presse, rapports d’organisations syndicales, politiques, religieuses ou d’institutions comme les mairies, les départements, les mutuelles ou caisses d’assurances et enfin, les rapports des Renseignements Généraux qui nous révèlent, ô combien, cette branche de la police était efficace dans la surveillance de toute la société. La rigueur de travail documentaire se manifeste dans son classement chronologique, toujours accompagné d’une historicité des prises de positions des différentes personnalités, des différentes organisations qui nous révèlent une profondeur sociale. Cette démarche transforme l’exposé en authentique tableau social. Le lecteur en a l’impression de pénétrer une demeure et d’être invité à découvrir tous ses recoins.

Le plus de cette écriture, est que Bernard Deschamps, nous restitue une histoire du Gard et notre guerre de libération, comme un enfant de la maison et un vigile  de la mémoire. Rien, absolument rien ne devait passer sous silence de ce qui s’est produit dans cette région, dont il arrive à nous transmettre sa vérité de lieu et la profondeur de sa tendresse.
 

A lui seul ce travail documentaire mériterait la lecture du livre. Mais une deuxième raison lui donne de la force. Bernard Deschamps nous invite à une autre réflexion sur l’histoire, sur la façon de la comprendre. Qui donc, ici, dans notre pays, imaginait en en restant aux grands livres d’histoire, que les protestants du Gard ont si vigoureusement apporté leur soutien à notre entreprise de libération, qu’ils ont sans délais appelé à la paix, combattu la mobilisation pour la guerre avec le rappel du contingent ? Et qui donc, dans notre propre effort de retrouver la trame de novembre, savait que les racines des émotions de l’Eglise protestante du Gard se trouvaient déjà, dans les presque cinq siècles de la réforme luthérienne  et dans la guerre des Camisards ? Comme notre novembre à nous prenait ses racines dans chacune des résistances militaires ou culturelles ou mémorielles de nos ancêtres, dans chacune des leçons de leurs défaites et de leurs amours contrariées de notre pays, de notre terre ?
Bien sûr sur ces terres du Gard marquées par les luttes paysannes contre la féodalité, par les besoins de réformes sociales traduits dans la réforme religieuse, se sont superposées les luttes sociales déterminées par la naissance et le développement du capitalisme. Nous retrouvons les organisations qui sont nées dans ces luttes de classes, syndicats, mutuelles, partis, associations d’entraide et finalement, les deux grandes organisations politiques   qui auraient pu écouter notre guerre et qui échoueront à le faire : la SFIO de Guy Mollet et le Parti Communiste Français.

Il faut bien sûr, pour cette région du Gard qui mord sur les Cévennes, rajouter la dernière née de ces luttes : la résistance armée au nazisme. Bien qu’essentiellement communiste, cette résistance a englobé et tissé des liens de combat et de mémoire entre tous les courants y compris religieux qui ont combattu le nazisme. L’influence de cette résistance dans l’activité politique est énorme et le livre rend compte de son poids dans le rejet de la guerre faite à notre peuple.
Cependant, les mots d’ordre restent les mots d’ordre possibles dans les contraintes des rapports de forces.  On ne sait pas avec qui négocier ? Le FLN ? L’assemblée algérienne dominée par les pieds noirs et les béni-oui-oui ? Le combat s’engage entre les courants qui ressassent que l’Algérie est territoire français civilisé par la France, non comparable au Maroc et à la Tunisie. Les autres opposés à la guerre parlent d’une personnalité algérienne brumeuse, certainement marquée par les idéologies civilisatrices des socialistes  ou par la théorie thorézienne de la nation en formation. Toujours est-il que treize pasteurs protestants
adjurent dans une lettre au préfet du Gard, en avril 1956, de considérer le FLN comme  l’un « des interlocuteurs valables en vue du cessez le feu ».

Le PCF, la CGT, le Secours populaire  seront hyper actifs contre la mobilisation du contingent.
Vous découvrirez les détails de ces longs combats au corps à corps, les débats dans la SFIO, dans le PCF, dans la rue. Les moments forts sont nombreux. Les points culminants aussi, comme la solidarité avec les algériens en grève en février 1957, la dénonciation de la torture.

Page par page, nous découvrons comment cette lutte contre la guerre et pour la paix en Algérie, devient une lutte contre la montée des dangers fascistes. Les gardois créent des comités de vigilance dès mai 1957 quand à Alger s’affirment les velléités des ultra de l’Algérie française d’imposer à la France entière la primauté de leur point de vue.
De France, devient visible, que notre guerre de libération, s’est heurté à un refus global des pieds-noirs comme communauté et à l’alliance fasciste entre paras et pieds-noirs, dans le Gard s’est formé dans les luttes du quotidien un sentiment d’urgence antifasciste.   

Quel extraordinaire écho à cette phrase visionnaire, dans El Moudjahed de juillet 1956, de Ben M’hidi : « Cette victoire permettra d’établir des alliances solides notamment avec le peuple français dans sa lutte contre le fascisme et pour la démocratie, et en plus elle sera un rempart puissant anti-impérialiste en Afrique. »

Et quelle démonstration pratique de cette phrase de Marx écrite à propos des rapports souhaitables des trade-unions anglaises avec la question irlandaise : 
« Un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre ».

M . B

Les Gardois contre la guerre d’Algérie, Bernard Deschamps. Préface d’Henri Alleg.  Editions El Ibriz. Nouvelle édition revue et augmentée. Alger.

 

 

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