Une femme au maquis - Yamina Chellali.
Par Mohamed Bouhamidi.
A 16 ans, Yamina Chellali, née au Maroc, terre d’exil de ses aïeux qui avaient fui leur région d’El-Bayedh et l’oppression coloniale, réalise son rêve de rejoindre l’ALN. L’histoire de sa famille pèse donc directement sur son destin en général, mais tous ces exilés politiques n’ont pas rejoint le maquis. Des facteurs plus personnels ont dû jouer.
Le livre ne les délivre pas directement mais nous pouvons les deviner à la surface du récit. Le père d’une culture aux racines traditionnelles profondes a fait l’effort d’une autoformation. Autodidacte, oui mais militant des Ulémas et du PPA, ces autres écoles qui introduisent sur les racines les greffes de la nouvelle conscience adaptée à la condition coloniale. Il offrira une maison pour l’ouverture d’une médersa Uléma moderne dans laquelle ses propres filles et d’autres enfants suivront un cursus national, qui doublera la scolarisation française qu’imposait le protectorat.
Personne ne sort indemne ni orphelin de ses racines, de la poésie apprise dans la langue maternelle.
Nous retrouvons une autre ressemblance avec la naissance de la culture nouvelle qui nait avec cette nouvelle conscience, la conscience nationale, Yamina et sa sœur auront pour récompense à leur premier diplôme scolaire le droit de faire du sport, du tennis, tenez-vous bien, et d’aller au conservatoire de musique. Nous avons l’impression que la vérité n‘est pas que les structures forment le peuple mais que le peuple cherchaient des structures pour agir. Yamina était une adolescente d’élite, de ces élites qui allaient porter le combat, la langue nécessaire à l’expression et à la conduite du combat. La naissance de ces élites est le produit de l’interaction entre notre peuple et ces structures.
Pourtant Yamina Chellali rend très bien, dans son récit, que la structure, dès qu’elle naît crée ses propres lois de survie et de reproduction et ses propres sous structures nécessaires à cette fin. D’une certaine façon, elle façonne même ses hommes et ses responsables. Son premier pas dans la lutte, en compagnie de sa sœur, son aînée de deux ans à peine, qui tombera en martyre dans un combat, la mènera vers une école de formation, créée par Boussouf.
Au-delà du langage que les cyniques d’aujourd’hui tiendraient pour des paroles de subjuguée, Yamina redresse l’image faite à Boussouf. Il apparaît, dans ce livre un homme dur dans la méthode, mais profondément soucieux de la formation des hommes et de la mise en place de l’organisation. Non pas la structure pour la structure mais sur la base du principe que l’organisation supplée les échecs des hommes.
Elle nous rend les portraits des hommes en charge de cette école de formation. De retour du maquis, elle en rencontrera d’autres dans un centre de renseignement, d’analyse, de documentation et de liaisons. Un service secret, tout simplement (sans la composante action qui devait se trouver ailleurs) qui lui imposera une vie clandestine jusqu’à l’indépendance.
Au maquis elle rencontrera une autre espèce d’élite, celle des baroudeurs, des moussebilines (volontaires sans armes pour les missions dangereuses), des femmes rurales combattantes, des maquisardes venues des villes. La vie de maquis est rendue avec peu de mots, mais avec une extraordinaire clarté, car d’une extraordinaire simplicité pédagogique : celle des travaux pratiques. Comment passer d’une zone à une autre, avec quels guides, quels mots de passe, quels codes de communications, etc. ?
Dans cette reconstitution par le récit de la vie réelle, la vie et l’organisation des maquis nous deviennent intelligibles.
Une figure et un fait historique dominent le récit des maquis. La figure est celle de Oum Chââb, paysanne qui tient un centre de passage dans un endroit isolé de la montagne, prépare les galettes, la nourriture, le café pour les djounoud et monte la garde à tour de rôle avec son mari.
Yamina découvre qu’elle est une femme que quand elle pose son fusil et enlève sa kachabia.
Le fait historique, et elle le rend dans son impact de long terme, est le déracinement des paysans et la création des camps de regroupement.
Yamina retournera au Maroc dans le cadre de ses missions. Elle comptera le nombre de martyrs, dont sa sœur, qu’en quelques mois, sa promotion laissera sur la terre nationale.
De ce séjour dans les maquis elle nous laissera, même si ce n’est pas le but de son propos, la conviction que la Wilaya V n’était pas une zone tranquille pour l’armée française et que les embuscades y étaient nombreuses, les martyrs innombrables, la mobilisation du peuple et l’organisation exemplaires comme partout ailleurs. Il manque vraiment à cette région du pays le travail historique qui lui rendrait justice.
C’est avec émotion que le lecteur retrouvera dans les annexes des textes de poèmes et d’anachides en langue nationale qui accompagnent les cours de guérilla, les rapports, les ordres de mission, les comptes rendus en langue française.
Le lecteur a intérêt à les lire avec autant d’attention qu’il aura prêté au récit lui-même. On découvre dans ces documents l’expression d’une culture, d’un sérieux, d’une application qui rendent compte d’un autre monde, d’une autre société. Nous découvrons/redécouvrons ce qui peut paraître une absolue naïveté, aujourd’hui que triomphent le cynisme, le narcissisme, l’égoïsme dans la sphère de la réussite culturelle médiatisée. Nous redécouvrons en réalité la sincérité, l’absolue sincérité des engagements d’une époque. Personne ne va à la mort avec, dans le cœur, autre chose qu’un idéal de fraternité. Celui qu’elle rapporte de ces poèmes, en français ou en arabe, que les djounoud chantaient au maquis. Celui qu’elle rapporte dans cette écriture appliquée des cours sur la guérilla, sur les embuscades, sur l’action psychologique.
Sur l’action du faible au fort.
Quelle foi et quelle force dans les textes de guerre! Quelle douceur et quelle espérance dans les chants de lutte!
M.B
Une femme au maquis - Yamina Chellali. Editions ANEP. Alger. 2ème semestre 2018. 155 pages.
Source : Horizons du 17 octobre 2018.