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La tête dans un sac de cuir. La vie de Mohamed Ben Allal Sidi Embarek, Khalifa de l’Emir Abdelkader.

1 Octobre 2018 , Rédigé par bouhamidi mohamed Publié dans #Notes de lecture

La tête dans un sac de cuir. La vie de Mohamed Ben Allal Sidi Embarek, Khalifa de l’Emir Abdelkader.

Par Mohamed Bouhamidi.

 

  Ecrit à quatre mains par l’actuel dépositaire des saints marabouts de Koléa, Sid Ahmed Mebarek Ben Allal et le journaliste-historien Nicolas Chevassus-au-Louis, « La tête dans un sac de cuir » est le récit de  l’entrée de la zaouïa de Koléa dans la confrontation armée avec la conquête française de notre pays.  

  Sidi Mehiedinne Es S’ghir, chef, dans la pleine maturité, de la zaouïa comme son neveu, Sidi Mohamed Ben Allal, qu’il préparait à sa succession, pour ses qualités précoces de courage physique et ses qualités intellectuelles, découvrirent chacun à sa manière le caractère totalement nouveau du pouvoir français qui s’installait en Algérie depuis juillet 1830.

  De la Régence turque qui laissait aux tribus la gestion de leurs économies, de leurs ressources et de leurs terres, pourvu que les impôts soient acquittés, le pays passait à la confiscation de la terre et au contrôle sévère des tribus par les conquérants français, peu soucieux en plus de la parole donnée et des traités signés.

Mohamed Ben Allal avait saisi que cette présence française représentait un phénomène absolument nouveau, révolutionnaire au mauvais sens du terme. Le mot colonialisme n’existait pas dans notre lexique. Pourtant avec ses mots de l’époque, le prisonnier/otage à Alger, le formule admirablement à Lamoricière.

Venait ainsi de se conclure, un débat engagé, auparavant, avec son oncle sur la possibilité ou non de coexister avec une armée débarquée devenue très vite une armée d’occupation du sol et des biens. Les deux marabouts saisiront la suite, confrontations, combats, négociations, échanges de prisonniers, manœuvres de division et tentatives de corruptions, dans ce qui était leur conscience sociale concrète, la conscience religieuse.

  Cette conscience religieuse se lit de façon remarquable, dans ce livre, comme construction et reproduction du lien social dans la répartition des tribus sur leurs territoires, la gestion éclairée de leurs (bons) voisinages, dans la solution des différends, dans l’administration de l’enseignement et des internats, dans les codes d’honneur et dans une interprétation de l’Islam tournée vers la réalisation des bien nécessaires à la vie et au bien-être des âmes. Le magistère moral exercé par les marabouts de la zaouïa de Koléa était entièrement dédié à cette entente si nécessaire à la prospérité des tribus de la Mitidja, comme était exercé ce même magistère dans d’autres régions. La paix à garantir aux tribus pour une vie acceptable était donc le souci majeur de  Sidi Mehiedinne Es S’ghir  dans sa quête de compromis de paix.

  Les parjures des français l’obligeront à la guerre et à rejoindre la grande résistance et l’Etat que se construisaient sous la conduite de l’Emir. Aussi bien l’oncle jusqu’à sa mort que le neveu, Mohamed Ben Allal dont nous parle ce livre y apporteront une contribution remarquable. Politique d’abord car les deux marabouts sauront prendre la tête des tribus de la Mitidja et les diriger avec un art politique, quand ces dernières auront, aussi bien que leurs marabouts, expérimenté l’impossibilité de la paix devant la spoliation effrénée des terres et l’humiliation continue des tribus. Stratégique ensuite, Mohamed Ben Allal, autant que son oncle apporteront une contribution importante à l’assise de l’Emir Abdelkader dans le centre du pays, avec l’apport de Berkani à Médéa et de Ben Salem sur le flanc kabyle. Le lecteur trouvera, là, à découvrir ce qui, dans les écrits historiques habituels, ne permettait pas de comprendre tout à fait ces batailles menées sur les ailes de la Mitidja et dans les piémonts.  

  Le récit nous permet de visualiser presque comment ces tribus vont mobiliser leurs ressources pour transformer des forces tribales, des civils, en une armée qui a été capable de faire subir à la première armée du monde de l’époque des défaites cuisantes même si la supériorité numérique et surtout tactique des français finissaient par remporter la décision. Armée tribale qui passe comme dans une culture spontanée à la guérilla, à la guerre asymétrique, comme si des lointaines époques numides revenaient les réflexes construits dans les jeux guerriers.

Sceau de Sidi Mohamed Ben Alla Embarek

Sceau de Sidi Mohamed Ben Alla Embarek

  Le livre nous donne à lire les péripéties d’un jeune Ben Allal qui fait plier les généraux français, dans l’ignorance totale des jeux de puissances de l’époque. Le seul souci pour lui, quand l’Emir lui parlait de géopolitique et d’Angleterre, restait de compter sur la foi que mettent les populations à résister à la conquête.

  Le même souci animera les militaires français qui développeront les pires tactiques d’assassinats et de crimes de masses, de terreur exercée sur tous les âges de la population, imposeront la famine pour briser cette foi. Dans cette confrontation titanesque contre la première armée de l’époque, l’expérience de la ruse et du mensonge diplomatiques, le viol des traités et accords à peine signés, les ruses sans honneur comme celle qui laissera El Mokrani ouvrir le passage des Portes de Fer aux français, prévaudront sur des chefs algériens dont le code d’honneur ne leur permettait même pas l’idée du mensonge et de la traitrise. Pas plus d’ailleurs que le mauvais traitement des prisonniers, alors que les têtes et les oreilles de nos combattants étaient rémunérées, Ben Allal rétribuait le bon traitement des prisonniers français et encore plus celui des prisonnières.

  Affaiblies, les armées d’Abdelkader, isolées de tout soutien marocain, combattues par les agents de Salah Bey, par les tribus qui servaient les turcs et maintenant servaient les français, allaient dans une extraordinaire aventure militaire perdre la guerre, êtres vaincues et pourtant porter l’auréole du triomphe et de la gloire.

  Ben Allal allait mourir avant, à El Malah, le 11 novembre 1843. L’Emir sera vaincu quatre ans plus tard. Vous qui lirez peut-être ce livre, mettez-le ensuite entre les mains de vos enfants. Son écriture est une des meilleures jamais réalisée pour un récit historique. Chaque chapitre, commencé dans une atmosphère paisible ou détendue, s’emplit lentement des bruits puis des fracas de son thème et finit dans le paroxysme des affrontements et des batailles. Puis le prochain recommence de la même manière, rappelant l’esthétique réalisé par  Andreï Tarkovski dans son film Andreï Roublev.

  L’argent se mobilisera-t-il, aussi facilement que pour certains films, pour porter ce livre à l’écran et dans la bande dessinée ? 

M.B       

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