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L’Emir Abdelkader – Mythes français et réalités algériennes-Mohamed-Chérif Sahli.

18 Septembre 2018 , Rédigé par bouhamidi mohamed Publié dans #Notes de lecture

L’Emir Abdelkader – Mythes français et réalités algériennes-Mohamed-Chérif Sahli.

 

 

Par Mohamed Bouhamidi

En 1988 l’Entreprise Algérienne de Presse publiait un livre de l’historien Mohamed-Chérif Sahli. Cinq ans auparavant, la commémoration du centenaire de la mort de l’Emir Abdelkader, avait donné l’occasion aux mythes français sur l’Emir Abdelkader de revenir en force.

Mohamed-Chérif Sahli en fera la recension complète consacrant à chacun  un chapitre et un travail d’examen critique. Le lecteur en connait au moins deux : l’adhésion à la Franc-maçonnerie et le retournement de l’Emir qui serait passé du « fanatique musulman » à « l’ami de la France », voire au «patriote français ». Il en découvrira bien d’autres.

Sur la Franc-maçonnerie, Bruno Etienne ne trouvera pas plus de documents que ceux référencés par Xavier Yacono, historien, ancien professeur à l’Université d’Alger qui s’appuie sur les témoignages et documents exclusifs de la partie française et sur une lettre de l’Emir dont la traduction est un modèle de falsification volontaire ou de contresens grossiers. La version française fait parler Abdelkader de l’Islam comme s’il y était étranger. Le Grand Orient de France, la loge Henri IV ou celle de la Bienfaisance entreprirent de le recruter. La motivation unique et clairement exposée était l’aubaine de gagner l’aura et l’autorité de cet homme prestigieux au sauvetage de « leur fanatisme » ses congénères  « barbares ». Tous ces documents se réduisent aux débats que l’Emir a pu avoir avec différentes loges sur la qualité du travail de « diffusion de l’idée du bien et de la bonne guidance  en général », sur des correspondances portant sur les mêmes sujets. Ces documents ignorent la réponse claire, en 1865 de l’Emir qu’il ne peut adhérer à une organisation « très mal vue » en Orient, que les actes et cérémonie d’initiation d’Alexandrie ont été faites en son absence, qu’il ignora la réception organisée en son honneur en 1863 à Paris. Même la justification franc-maçonne que l’Emir aurait quitté la franc-maçonnerie à cause de la clause d’athéisme ou d’agnosticisme est fausse car elle ne fut inscrite que beaucoup plus tard dans les statuts.

Mohamed-Chérif Sahli démonte et déconstruit les faits d’abord. Il examine les témoignages et les confronte. Ils sont parfois totalement contradictoires. Sahli nous montre ainsi qu’ils reflètent les humeurs, les attentes et espoirs de leurs auteurs, plutôt que la réalité. Il examine leur cohérence interne et leurs rapports  avec les circonstances du moment, et avec la séquence historique. Il déploie en même temps le travail d’historien et les  règles minimales qui le régissent.

Sur le « patriotisme français de l’Emir », il s’agit de son propre engagement à ne plus rien entreprendre contre la France. C’était une des clauses de l’armistice qu’il avait convenues avec Lamoricière. Bien que les français aient trahi totalement ces clauses en le faisant prisonnier alors  qu’ils s’étaient engagés à le transporter en Egypte ou à Saint-Jean-d’Acre, il respectera scrupuleusement son engagement Vers 1870, son fils Mohiedine s’engagea dans des activités politiques antifrançaises en Tunisie et en Algérie. A la demande de Crémieux, l’auteur du fameux Décret, une intense activité de propagande et de manipulation a été organisée pour prévenir une éventuelle agitation arabe qui profiterait de la guerre franco-prussienne. Une lettre grossièrement attribuée à l’Emir a été diffusée demandant aux chefs arabes de rester fidèles à la France et désavouant l’action de son fils. La lettre était chargée de fautes de syntaxe et de grammaire qui, à elle seule, dénonçaient le faux.     

Parmi les mythes imbéciles autour de l’Emir, ou en général, mérite une mention spéciale celui inventé par la romancière Olympe Audouard, et qui est symptomatique de la projection du fantasme personnel dans la parole sociale et politique. Elle fera de l’Emir un homme subjugué par Napoléon III, qui se réclame de la protection de la France pour refuser l’autorité du Vice-roi d’Egypte Ismaïl, lequel aurait été jaloux de la popularité du chef algérien. Sahli relève comment les fantasmes d’Olympe lui font écrire que les paysans égyptiens se jetaient aux pieds de l’Emir pour embrasser le pan de son burnous. Elle lui fera porter des costumes syriens alors que tous les témoignages attestent de sa constance à porter des habits algériens.

C’est autour des manœuvres de Ferdinand de Lesseps, et des Lesseps en général, consuls de France en Tunisie,  que les fils qui mènent de ces mythes à leurs fonctions triviales, politiques et économiques, sont  les plus claires.

L’analyse des manœuvres françaises autour du royaume arabe du Moyen-Orient permettent de situer les approches françaises de l’Emir dans la perspective de l’utiliser. Entre pressions, propositions, démarches tortueuses, sondages, l’Emir devait trouver la conduite qui le préserve en même temps que les compromis qui facilitent la libération de sa famille et de ses compagnons, malgré les parjures répétés de la partie française.

Sahli examinera au total treize mythes français relatifs à l’Emir sans se refuser aux difficultés. Traité de la Tafna, illusions sur le sultan du Maroc, attitude à propos de la Turquie, Mohamed-Chérif Sahli balaye tout le spectre d’une bataille idéologique autour de l’Emir qui fait partie des batailles globales ou parcellaires qui se mènent autour de la compréhension et de la sympathie ou antipathie pour l’ordre colonial. Ces batailles ne concernent pas un passé mis aux archives mais un passé qui pèse sur notre conscience des batailles du présent. 

Mohamed-Chérif Sahli répondra à ces mythes sur les deux registres essentiels de la vérité historique, objet de sa discipline, et de la décolonisation de l’histoire, objet de son engagement et de son combat. Bien sûr, appeler à une nécessaire  décolonisation de l’histoire revient à éveiller le sens critique des élites quant à l’investissement d’enjeux culturels et politiques dans l’écriture de l’histoire et éveiller la conscience sociale, en général, quant à la fabrication de l’opinion publique par la fabrication du récit.  Du reste, cette ligne de conduite de l’auteur de ce texte était bien mieux comprise à l’époque  qu’elle ne le serait aujourd’hui, car enveloppée et inscrite dans la lutte anticoloniale globale de notre peuple, idéologique, culturelle, politique et, à périodes irrégulières, armée.

Nous ouvrons donc un livre qui représente la meilleure application de ce travail d’historien anticolonial qu’était Mohamed-Chérif Sahli.   Et ce livre s’ouvre sur la remarque la plus essentielle que puisse faire un historien honnête quelle que soit sa nationalité et son appartenance politique : les sources les plus disponibles et dominantes sont toujours celles du vainqueur et du dominant. Dans l’écriture de l’Emir Abdelkader en particulier, mais aussi dans celle de notre pays en général, se surajoute le problème de la langue. Il ne s’agit pas d’un aspect secondaire. Les fautes grammaticales et de syntaxe de la lettre attribuée à l’Emir appelant son fils Mohiédine à ne pas  se dresser contre la France, suffisaient à comprendre qu’elle était un faux. Pourtant, elle passera dans les mythes comme fait « historique » et servira, de nos jours encore, pour faire passer l’Emir pour un allié de la France.

Pourquoi, malgré tous les efforts  de décolonisation des esprits, les mythes coloniaux retrouvent une jeunesse toujours intacte dans la conscience des élites indigènes ? Mohamed Cherif Sahli y répond et cette réponse, à elle seule, mérite lecture de ce livre.

M.B

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S
Bonsoir Mohamed Bouhamidi. Le livre est-il encore disponible ? A bientôt... vous lire.
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B
Non il n'est plus disponible,(sauf peut-être à la Bibliothèque Nationale ,) mais je vous l'ai photocopié.
B
non il n'est plus disponible,(sauf peut-être à la Bibliothèque Nationale ,) mais je vous l'ai photocopié.