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Kamel Daoud, l’itinéraire d’un « intellectuel » mercenaire

4 Mars 2018 , Rédigé par bouhamidi mohamed

Kamel Daoud, l’itinéraire d’un « intellectuel » mercenaire

 Par Lina Kennouche

In Al Akhbar du 03 mars 2018

 

Depuis quelques années, la presse algérienne francophone a assuré une publicité démesurée à Kamel Daoud, chroniqueur contesté et écrivain d’expression française qui a conquis le marché éditorial français. Né en 1970 à Mostaganem à 300 km d’Alger, cet aîné d'une fratrie de six enfants débute sa carrière de journaliste après une entrée remarquée en 1994 au quotidien d’Oran. Sa rubrique « Raïna Raïkoum » donne naissance au mythe de l’intellectuel « critique » et sa verve « caustique » évinçant les tabous pour dénoncer l’état de décadence de sa société minée par le conservatisme rétrograde et l’obscurantisme religieux.

Propulsé rédacteur en chef, Kamel Daoud va faire souffler sur un journal étiqueté « conservateur » un vent de « liberté » qui ignore toute mesure et toute nuance. Avec l’expérience, il renforce sa maîtrise dans l’art d’enfoncer les portes ouvertes rapportant, dans ses implacables réquisitoires contre l’ « arriération », des faits qui appartiennent aux lieux communs de l’actualité de l’Algérie et du monde arabe, abreuvant le lecteur francophone des réflexions symptomatiques d’une pensée rampante. Il faut néanmoins reconnaitre à celui qui fut également éditorialiste à Algérie Focus un talent certain pour replacer le discours raciste dans le domaine du politiquement correct et convaincre les microcosmes francophiles libéraux de sa volonté messianique de briser la chape de plomb de l’islamisme et servir à l’émancipation d’une société algérienne sur laquelle il étale tant de méconnaissances.

Muni d’un solide bagage universitaire (formé à la fois aux mathématiques et à la littérature), il est la démonstration vivante de l’absence d’équivalence entre universitaire et intellectuel de vocation engagé à déconstruire l'idéologie de la classe dominante.

Porte-voix de l’indignation univoque, vociférant sa haine des islamistes et faisant de la surenchère sur l’odieux patriarcat, il incarne l’idéal-type de l’intellectuel mercenaire, un basané à l’avant-poste dans cette guerre idéologique aux allures de choc des civilisations. Par son obsession quasi-névrotique de l’islam et ses propos ne sacrifiant à aucune nuance, Daoud se libère des stigmates d’une adolescence durant laquelle il affiche ses sympathies pour l’islamisme, « j’ai moi-même été l’imam de la mosquée de mon lycée et islamiste pendant huit années, entre mes 13 et 20 ans ». Il combat cette inclination et rompt avec le mouvement politique des Frères musulmans en 1990 deux ans après avoir pris part aux manifestations de masse à Mostaganem. Faisant de la lutte contre l’ « islamisme » son cheval de bataille, il est l’objet d’une fatwa en 2014 lancée par l’imam salafiste Abd El Fattah Hamdacheles.

Cette année-là, il devient également chroniqueur au journal le Point et retourne depuis régulièrement en croisade contre le conservatisme et le « fanatisme » religieux.

En janvier 2016, il signe dans Le Monde une tribune qui déplore la misère sexuelle du monde arabe. Acculé par la réponse d’un collectif d’universitaires qui dénonce ses contre-vérités assenées de façon péremptoire et son discours réhabilitant les clichés essentialistes, il décide d’interrompre ses chroniques pour le quotidien d’Oran.

Ignorance haineuse ou opportunisme coupable ? L‘appétit de reconnaissance par l’esprit français et sa mythique universalité, le désir ardent d’une carrière internationale conduisent inéluctablement à la trahison des idéaux. S'il fait le choix de la langue française ce n’est pas pour s’inscrire dans le sillon tracé par ses ainés qui ont cherché à dominer une langue dominante dans un rapport conflictuel au français mais c’est essentiellement parce qu’il rejette une langue arabe « piégée par le sacré, par les idéologies dominantes. On a fétichisé, politisé, idéologisé cette langue » (Le Figaro littéraire,16 octobre 2014).

Pourtant, aussi surprenant que cela paraisse, Kamel Daoud l’écrivain, le romancier, n’a pas exclusivement été dans ce rapport malheureux d’allégeance obéissant aux règles de l’écriture mainstream qui cherche à renforcer les représentations stéréotypées de la société française. Sa réponse littéraire à l’Etranger d’Albert Camus à travers « Meursault contre-enquête » (éditions Barzakh) avant d’être épuré de tout engagement consubstantiel à la littérature, s’inscrivait dans un dialogue critique avec l'écrivain français à travers la volonté d’identifier l’Arabe absent de ses oeuvres ou présent de façon insignifiante (Voir Kaouthar Harchi, Je n’ai qu’une langue et ce n’est pas la mienne, Pauvert, 2016).

Faisant du narrateur le frère de « l'Arabe » tué par « Albert » Mersault, Daoud qui semble au départ, disposé à montrer l’ambivalence de Camus et la signification symbolique de son œuvre, finit par s’inscrire dans l’hommage servile et le mimétisme stérile.

Les flagorneries restent le principal critère de l’édition française pour universaliser une œuvre. En s’engageant sur le chemin de l’Universel, l’écrivain a choisi la voie de l’Occident et son succès est garanti : la nouvelle version-hommage de Meursault est vendue à 250 mille exemplaires, son succès est couronné par le prix Goncourt du premier roman en 2015.

En reléguant les intellectuels engagés au fin fond de leur périphérie, le champs éditorial français coopte les mercenaires. Cette escroquerie intellectuelle, Daoud a tenté de la dissiper dans une interview au Point en février 2017 sous le titre « L’intellectuel qui secoue le monde ». Selon l’écrivain ses positions seraient problématiques parce qu’il « refuse d’être otage de l’histoire coloniale quand tout le récit national algérien est tissé autour de cette notion ». « Je suis un attentat contre le discours d’une certaine gauche. Ces gens-là aimeraient que je me pose en victime du colonialisme et que je dise que l’islamisme est la religion des opprimés. Eh bien, non ! Il y a une forme de racisme dans leurs déclarations condescendantes. Ils ne jugent pas mes propos, mais là d’où je les émets » écrit-il.

Dans mes « Indépendances » un recueil de 182 textes (sur plus de deux mille produits entre 2010 et 2016) publié en février 2017 aux éditions Actes Sud, il reproduit les chroniques les plus marquantes et polémiques dans leur emballage « critique ». Il recycle le discours sur cette société algérienne infantilisée, biberonnée au récit révolutionnaire, enfermée dans son passé et cherchant auprès des représentants d’un islam sclérosé, le remède à ses maux.

Son roman autobiographique, Zabor ou les psaumes, paru en septembre dernier, laisse transparaitre l’ambivalence de l’écrivain, qui témoigne de son amour pour sa terre sans parvenir à dissimuler le mépris d’une société dans laquelle il vit sans jamais s’y être immergé. Les thèmes de la frustration sexuelle et de la violence qu’elle génère, du carcan religieux et social qui étouffe la pensée, reviennent avec insistance.

En suivant l’itinéraire de Daoud et son adaptation progressive aux exigences de l’édition française, l’observateur est irrésistiblement tenté de conclure que sa courtisanerie est la condition première du succès. L’ incurie intellectuelle de KD a moins à voir avec l’ignorance haineuse que l’opportunisme ignominieux encouragé par le système médiocratique éditorial et médiatique français.

L.K

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