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bouhamidimohamed

Les femmes combattantes dans la guerre de libération nationale. 1954-1962. Djoudi Attoumi.

19 Février 2019 , Rédigé par bouhamidi mohamed Publié dans #Notes de lecture

Zoulikha Oudaï. Mère et épouse de chahids, organisatrice de réseaux féminins, maquisarde et responsable politico-militaire de l'ALN dans la région de Cherchell, arrêtée dans une embuscade elle est exposée et torturée en public dix jours de suite puis assassinée par les hommes du Lt colonel Lecoint,  le  25 octobre 1957 par jet d'hélicoptère selon certains témoignages.

Zoulikha Oudaï. Mère et épouse de chahids, organisatrice de réseaux féminins, maquisarde et responsable politico-militaire de l'ALN dans la région de Cherchell, arrêtée dans une embuscade elle est exposée et torturée en public dix jours de suite puis assassinée par les hommes du Lt colonel Lecoint, le 25 octobre 1957 par jet d'hélicoptère selon certains témoignages.

Par Mohamed Bouhamidi.

La lecture de ce livre nous laisse l’impression de pèlerinages sur des lieux, des tombes, des souvenirs. Livre de mémoire par excellence, il se développe comme une conversation mille fois interrompue et qui repart au hasard d’une idée ou d’une image qui revient.

Il y a du sacerdoce dans ce travail de Djoudi Attoumi, comme un devoir rendu au côté le plus lumineux et paradoxalement le moins connu, le moins visité de notre guerre de libération nationale.
Il ne s’agit pas d’un livre structuré sur des axes ou des chronologies académiques. L’auteur peut d’un fait de l’année 1961 vers un autre survenu bien plus tôt. Nous en sortons avec cette impression d’entretien entrecoupé mais, curieusement non décousu. Tout se passe comme si, d’emblée le propos tient par un intérêt historique, bien plus grand que les règles du récit historique ou de l’écriture de l’histoire.

Même non datée, la parution de ce livre vient après sept livres publiés par Attoumi. Nous le déduisons de la liste des ouvrages déjà publiés énoncés au début de ces évocations.
Car ces retours sur des faits sont aussi des évocations, des retours sur des lieux et des faits remarquables, comme un hommage rendu à ces femmes martyres, à ces femmes héroïnes. Bien sûr, le livre, très riche en iconographie rassemblée certainement au bout d’une quête, cadre dans un tableau politique et mémoriel plus vaste  cette histoire des exploits des femmes dans notre guerre de libération. Nous devrions peut-être dire « ces » histoires des femmes combattantes tant chaque fait nous apparaît singulier par sa portée pratique, de combat, ou par sa portée morale, sa portée symbolique.

De ce fait, la mort d’une simple villageoise, assassinée dans une embuscade de l’armée française sur une piste qui la ramenait vers « sa » zone interdite prend la dimension de la moudjahida tombée dans le combat. Rester dans ces zones interdites permettaient aux femmes de soutenir encore les combattants, leur garder un environnement humain vital pour eux mais si dangereux dans ces lieux ou le tir à vue était la seule règle d’engagement.

Ces vécus de femmes balayent le spectre de l’indicible et du courage fait de témérité et de pleine conscience du prix de la mort à payer. En déroulant le livre, nous pouvons sur deux ou trois pages, découvrir eu redécouvrir une haute figure de notre lutte, celle d’Ourida Meddad prise au hasard, ou celle de Nafissa Hamoud, Raymonde Peshard, Malika Gaïd et d’autres héroïnes ou martyres qui ont rejoint la lutte armée. Il peut s’agir de combattantes que Attoumi a croisées et connues comme d’autres qui agissaient bien loin de sa Wilaya III, à Chleff ou le Nord Constantinois ou ailleurs encore. Mais il peut s’agir sur un plus grand nombre de pages des femmes dites ordinaires des villages, qui dans un moment de confrontation armée rapprochée, peuvent au prix de leur vies, retirer d’un encerclement un ou des moudjahed  et prendre l’initiative de les  cacher sans en passer d’abord par l’autorité maritale.

Moments de combats, d’où surgissent des femmes à hauteur d’une histoire dont elles tissent la légende. Et ces femmes apparemment toutes simples, sans uniformes des combattantes, interviennent parfois dans l’affrontement direct. Elles galvanisent, alors, les combattants et les portent vers ces élévations qui transforment la mort, le sacrifice en accomplissement de leur être d’homme, celui de devenir supérieur à l’attachement primaire à la vie. S’accomplir par le défi à soi-même, à plus fort matériellement, à réaliser l’optimisme de la volonté du faible au fort, le surpassement du désir de liberté, de vie, de dignité sur la menace d’anéantissement colonial.
Il s’agit aussi de cela dans ce livre : de l’anéantissement. Attoumi a le courage d’en parler, l’anéantissement par le viol, par la transgression des codes et des pudeurs sociales si essentielles dans notre société structurée sur les valeurs tribales. Il rapport ces faits de femmes dénudées au milieu du village, sous le regard de leurs maris, frères, enfants et obligées de faire des pas de danse. Il rapporte les faits de viols massifs, en réalité systématiques après chaque perte dans les rangs de l’armée coloniale, qui laissent les femmes plongées dans la prostration, dans le sentiment du déshonneur et, pire, de la souillure, et dans une espèce de post-traumatisme irrémissible. Quelquefois, le poids en devient plus lourd encore, si même cela est possible de porter une blessure plus grande, quand le viol provoque la grossesse, vécue comme odieuse par ces femmes.

Quel hommage fraternel se dessine  en filigrane dans ces faits qu’Attoumi énonce comme nécessaire de les rapporter, comme si la plus belle et plus grande lumière de notre combat était celle de cet indicible des blessures et des souffrances des femmes.     

C’est peut-être ce côté de l’indicible qui donne au livre cet aspect en apparence décousu, comme si la mémoire était saisie d’un dernier besoin du devoir de transmettre. A tous ceux qui font campagne pour regarder l’avenir plutôt que le passé, qui nous demandent de nous libérer de notre propre combat, que le délit de mémoire qu’ils nous instruisent permet au crime de passer les fourches du tribunal de la morale à défaut du tribunal tout court. Ils lèsent d’abord ce combat des femmes contre la violence, le viol, le meurtre. Ils cèlent que notre guerre a été un moment de partage hommes/femmes rarement réalisé dans l’histoire de notre pays.

M.B

Les femmes combattantes dans la guerre de libération nationale. 1954-1962. Djoudi Attoumi. Editions Rym Attoumi. El Flaye. Sidi Aich. Bejaïa. 346 pages. Date de publication ou d’impression non précisée. (ISBN : 2014 ?)

 

 

 

Photo de M’henia bendjeda,  égorgée à 19 ans, d’El Ma Labiodh (Tébessa) en  décembre 1958 avec sa  tante Aïcha 26 ans, mère de deux enfants,  après d'affreuses tortures pour avoir tué à coup de pioche un officier qui tentait de la violer.

Photo de M’henia bendjeda, égorgée à 19 ans, d’El Ma Labiodh (Tébessa) en décembre 1958 avec sa tante Aïcha 26 ans, mère de deux enfants, après d'affreuses tortures pour avoir tué à coup de pioche un officier qui tentait de la violer.

Moments de combats, d’où surgissent des femmes à hauteur d’une histoire dont elles tissent la légende. Et ces femmes apparemment toutes simples, sans uniformes des combattantes, interviennent parfois dans l’affrontement direct. Elles galvanisent, alors, les combattants et les portent vers ces élévations qui transforment la mort, le sacrifice en accomplissement de leur être d’homme, celui de devenir supérieur à l’attachement primaire à la vie. S’accomplir par le défi à soi-même, à plus fort matériellement, à réaliser l’optimisme de la volonté du faible au fort, le surpassement du désir de liberté, de vie, de dignité sur la menace d’anéantissement colonial.
Il s’agit aussi de cela dans ce livre : de l’anéantissement. Attoumi a le courage d’en parler, l’anéantissement par le viol, par la transgression des codes et des pudeurs sociales si essentielles dans notre société structurée sur les valeurs tribales. Il rapport ces faits de femmes dénudées au milieu du village, sous le regard de leurs maris, frères, enfants et obligées de faire des pas de danse. Il rapporte les faits de viols massifs, en réalité systématiques après chaque perte dans les rangs de l’armée coloniale, qui laissent les femmes plongées dans la prostration, dans le sentiment du déshonneur et, pire, de la souillure, et dans une espèce de post-traumatisme irrémissible. Quelquefois, le poids en devient plus lourd encore, si même cela est possible de porter une blessure plus grande, quand le viol provoque la grossesse, vécue comme odieuse par ces femmes.

Quel hommage fraternel se dessine  en filigrane dans ces faits qu’Attoumi énonce comme nécessaire de le rapporter, comme si la plus belle et plus grande lumière de notre combat était celle de cet indicible des blessures et des souffrances des femmes.     

C’est peut-être ce côté de l’indicible qui donne au livre cet aspect en apparence décousu, comme si la mémoire était saisie d’un dernier besoin du devoir de transmettre. A tous ceux qui font campagne pour regarder l’avenir plutôt que le passé, qui nous demandent de nous libérer de notre propre combat, que le délit de mémoire qu’ils nous instruisent permettent au crime de passer les fourches du tribunal de la morale à défaut du tribunal tout court. Ils lèsent d’abord ce combat des femmes contre la violence, le viol, le meurtre. Ils cèlent que notre guerre a été un moment de partage hommes/femmes rarement réalisé dans l’histoire de notre pays.

M.B

Les femmes combattantes dans la guerre de libération nationale. 1954-1962. Djoudi Attoumi. Editions Rym Attoumi. El Flaye. Sidi Aich. Bejaïa. 346 pages. Date de publication ou d’impression non précisée. (ISBN : 2014 ?)

 

Source : Horizons du 20  février 2019.

 

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