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Le monde arabe dans la longue durée.  – Samir Amin.

30 Mai 2018 , Rédigé par bouhamidi mohamed Publié dans #Notes de lecture

Le monde arabe dans la longue durée.  – Samir Amin.

Le monde arabe dans la longue durée.  – Samir Amin.

Par Mohamed Bouhamidi.

In Horizons du 30 mai 2018

Sept ans après le « printemps arabe», qui peut encore trouver du sens à cet événement indiscutablement historique ? Qui peut encore se satisfaire de la compréhension qui nous en a été proposée sur le champ et dans l’avalanche des informations tous les jours plus chargées d’émotions ? Ce « printemps » a pris sa part de morts, particulièrement en Egypte. Il en pris malheureusement infiniment plus en Syrie dans laquelle la forme militaire de contestation a été immédiate. Nous savons maintenant qu’elle était préméditée et préparée de longue date.

Cette dénomination de « printemps » cachait mal qu’il s’agissait de différents « printemps ». La dénomination « monde arabe », elle-même, cache un monde d’une grande diversité. Pourtant l’analyse de Samir Amin nous dévoile des traits profonds d’unité de ce monde, traits surprenants qu’il met à jour dans une archéologie des constructions économiques et sociales sur la longue durée. Il fallait, pour entreprendre cette archéologie, ressortir de dessous les couches successives des identités réputées historiques par la périodisation classique, une autre périodisation totalement singulière et une unité territoriale débordant l’idée du Monde arabe pour inclure ce dernier dans une zone plus large, celle d’une plaque tournante du commerce et des échanges unifiée pour la première fois par Alexandre le Grand au 3ème siècle av. J.-C. Les différentes formes de d’organisations étatiques et  les différentes identités/identifications correspondantes ne reflètent que des moments de domination et de contrôle de cette plaque tournante et de la « route de la soie », selon les rapports des forces.

La première grande période s’étend d’Alexandre le Grand à 1492 et correspond pour cette plaque tournante au passage d’une activité marchande mais encore mercantile à l’activité marchande de type capitaliste. Empires, royaumes, civilisations, Etats, croyances naissent, s’éteignent ou survivent autour du contrôle de ces routes de la richesse. C’est bien cette lutte pour le contrôle de cette région, qui explique historiquement l’hostilité constante, profonde de l’Europe pour le Monde musulman ou arabe car ces derniers leur barraient les chemins de la conquête de cette route de la soie. Cette zone est une partie constitutive d’une première mondialisation, une mondialisation marchande mais de type mercantiliste et précapitaliste, une mondialisation dont le centre moteur démographique, inventif et producteur de surplus était justement la Chine talonnée par l’Inde.

La suprématie européenne ne cessera de s’affirmer à partir du 15ème siècle et du passage de l’artisanat à la manufacture puis à l’usine. Il faudra malgré tout quatre siècles pour que cette suprématie s’affirme définitivement par l’affaiblissement de l’Empire Ottoman et la domination sur le Moyen Orient. Nous passons alors à la phase supérieure, quasi définitive d’une mondialisation au niveau suprême du capitalisme.

Le Monde arabe est une fraction de cette zone de transit. Samir Amin remonte, loin dans le temps, pour mettre à jour les strates historiques, profondément enfouies et oubliées, qui permettent de comprendre la naissance des grands blocs historiques, leurs interactions, leurs échanges, leurs influences réciproques.

Le monde arabe dans la longue durée.  – Samir Amin.

Malgré les routes maritimes ouvertes après 1492, la route continentale vers la Chine reste stratégique. Elle passe par tous les pays soumis à une instabilité créée et entretenue en permanence par les puissances impérialistes.

Mais cette unité historique reproduite à partir des données démographiques, économiques, commerciales, politiques et culturelles ne rend pas compte d’une autre réalité. Les mouvements de protestations qui ont a agité le Monde arabe à partir des années 2010/2011 s’expliquent par une autre donnée fondamentale. Samir Amin réexamine la thèse émise par Mao Tsé Toung que les tempêtes post-2ème guerre mondiale se dérouleraient dans le Sud. Alors les événements qui ont secoué le Monde arabe ne peuvent être compris que comme une composante des luttes contre et autour de la mondialisation, entre les puissances elles-mêmes avec la suprématie US que nous connaissons au final et entre ces puissances et les peuples qui refusent cette domination mais n’ont pas toujours en mains les instruments politiques et la conscience/connaissance de la domination d’un centre capitaliste sur une périphérie qu’il intègre pour l’assujettir à son système de domination et qu’il maintient dans cet Etat de domination par des recadrages et des recalibrages permanents. Dans ces luttes les avancées latino-américaines, par exemple, ont certainement accompagné les flux ou les reflux de ces luttes auxquelles la Conférence d’avril 1955 de Bandung va donner pour la première fois le caractère d’une lutte mondiale des Etats du Sud, autonome du camp socialiste mais bénéficiant de son soutien,   contre une domination impérialiste mondiale.

Samir Amin rappelle combien de luttes victorieuses des peuples ont été récupérées par le système capitaliste à travers ses instruments financiers, économiques, commerciaux, politiques, idéologiques et de subversion par la création de mouvement politiques et religieux engagés  à fourvoyer les peuples dans les voies du passéisme. Le mouvement des Frères Musulmans et le salafistes, c’est-à-dire l’Islam politique, en sont la meilleure illustration.

Samir Amin investit dans ce livre la recherche du temps long qui a façonné ce Monde arabe, en fait une partie d’un ensemble plus grand, qui a participé à une première mondialisation. Mais il y investit aussi l’examen minutieux des derniers développements de la confrontation entre les peuples arabes et les puissances impérialistes qui les haïssent en tant qu’arabes et musulmans d’autant plus fort qu’ils se trouvent sur cette plaque qui inclut une partie de l’Eurasie.

Naturellement le cas de l’Egypte prend une place importante et méritée. L’analyse est passionnante de la récupération par les Frères musulmans puis par le régime policier autoritaire de Sissi de l’extraordinaire mobilisation populaire égyptienne, jusqu’à 15 millions de manifestants à certains moments, voire plus selon certaines sources, un bilan qui recense mille morts. Comment cela a-t-il pu arriver et pourquoi ? Voilà ce que le lecteur peut découvrir, une histoire immédiate passé au microscope du « temps long » et la satisfaction d’avoir partagé un grand moment d’intelligence historique.

M.B

Le monde arabe dans la longue durée.  Samir Amin. 2011  Le Temps des Cerises Editeurs - 2011 Editions APIC Alger – 255 pages.

Source : Horizons du 30 mai 2018

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