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Naissances et L’olivier – Théâtre de Mohamed Boudia.

21 Mars 2018 , Rédigé par bouhamidi mohamed Publié dans #Notes de lecture

Mohamed Boudia au centre avec El Anka

Mohamed Boudia au centre avec El Anka

 

Par Mohamed Bouhamidi.

In Horizons du 21 mars 2018

Mohamed Boudia a écrit des dizaines de textes entre nouvelles, poèmes, pièces de théâtre, articles théoriques, contributions politiques. Il a publié ses écrits sur différents supports, légaux ou clandestins, et à différentes époques de sa vie : celle de notre guerre de libération, celle de sa participation à la construction de l’Algérie indépendante comme directeur  du Théâtre National Algérien et de la revue culturelle Novembre, celle de sa participation à la lutte politique et militaire de la résistance palestinienne.

Ses textes sont Intimement liés à sa vie politique  de militant en armes ou sans armes, en liberté ou en prison, en clandestinité ou dans une période légale, sous son nom ou sous de fausses identités. Quelques-uns resteront conjoncturels, la plupart gardent la pertinence de longue durée de réflexions sur la nature et la portée de l’art.

D’autres s’élèvent par leur qualité au statut d’œuvres esthétiques. Elles dépassent en cela les circonstances  historiques de leur création,  leur articulation à l’action militante et à ses besoins de représentation dans la conscience.   Il s’agit bien de conscience dans ces œuvres de Boudia, conscience de la lutte nécessaire et inévitable, conscience que la lutte est dépassement de soi, qu’elle est don de soi.

Mohamed Boudia

Mohamed Boudia

Arrêté en 1958 alors que le FLN portait, fait unique dans l’histoire des libérations nationales, la guerre sur le territoire de la puissance coloniale, Mohamed Boudia sera condamné à vingt ans de prison.  Pendant ce séjour carcéral, Boudia écrira deux pièces de théâtre : Naissances et  L’olivier (2).

Naissances met en scène la question de l’engagement et de la conscience politique dans les conditions de la contrainte de guerre. Veuve de son mari martyr, mère de son aîné martyr, La mère observe l’évolution de  son deuxième et dernier fils, Rachid, obligé de quitter le lycée pour travailler. Il reste le dernier homme de la maison et doit assurer une subsistance à ce qui reste de sa famille dans une maison de la casbah : sa mère et Aïcha, sa belle-sœur, veuve du martyr et près d’accoucher.

La mère, qui n’est pas nommée, ne pourra conjurer ni les démons de sa peur ni les réalités de la guerre qui entoure son enclos. Elle sent, et l’exprime sous différents masques,  qu’elle ne peut grand-chose contre l’engagement avancé de son fils dans la lutte politique. Elle veut tenir loin de ses derniers amours, son fils, sa bru et l’enfant à venir, cette guerre qui lui a pris son mari et son aîné. La guerre entrera dans sa maison à l’instant ultime où des soldats viendront arrêter son fils, un peu à l’aveugle. Entre temps, dans le développement de la pièce, elle se résignera à  accepter l’idée et le fait que sa bru, veuve, se soit attachée à  Rachid son beau-frère et fabrique en cachette un drapeau de l’Algérie. Sa voisine la déroute en encourageant l’engagement  de son fils Omar, camarade de Rachid, dans l’organisation FLN. Malika, infirmière, amoureuse de Omar et elle-même militante, accepte de reporter la réalisation de son bonheur pour après l’indépendance et met sous le regard de La mère un temps nouveau de l’amour et du statut de la femme qu’esquisse sa propre bru. René, professeur de Rachid, devenu ami avec son ancien élève, représentera  le difficile dialogue avec la composante européenne honnête mais hésitante. Il  la confrontera à l’hésitation d’un européen suffisamment humain pour sentir l’injustice de la condition coloniale mais pas suffisamment révolté pour prendre parti.        

Le lecteur pensera certainement, et avec raison,  à une situation « brechtienne ». La mère qui disait haïr la politique et tenait tant à conjurer la mort qui avait  fauché sa chair et  son sang, se trouvera plus pour elle que pour René le langage de la vérité  sur sa condition de colonisée.

Face aux soldats, elle trouvera le moyen d’en bousculer un et de protéger la cache des documents que lui avait signalés Rachid. Elle les remettra, dans le plus grand secret,  « au laitier » selon les consignes de son fils.

Pourquoi s’engager, pourquoi lutter, pourquoi mourir et dans quels buts ? voilà les interrogations morales qui structurent les dialogues et l’action.  La qualité de cette écriture nous élève bien plus haut que les  circonstances historiques du moment. Nous ne sommes plus face à des interrogations politiques d’algériens face à leurs luttes, leurs sacrifices, leur don de soi mais face à la question de la réalisation de notre humanité. La révolution n’est pas seulement ce qui est à venir, dans un ordre désiré de l’indépendance mais ce qui advient pendant la révolution elle-même.  La mère qui cède devant l’exigence de choix de sa bru tombée amoureuse de Rachid. Rachid qui interroge son frère mort sur la licéité de son amour pour Aïcha. Malika qui met La mère dans l’extrémité de savoir  si accepter sa condition pour  survivre, c’est vivre.

La révolution n’est pas ce qui se modifie au moment où  les révolutionnaires transforment les rapports politiques. Mohamed Boudia nous met face à une postindépendance qui doit renverser l’ordre économique   qui a enfanté le monstre colonial.    

La peur, constitue dans  cette pièce et dans L’olivier l’obstacle central qu’il faut dépasser pour tenir cette terre. Ce sera la trame structurante de la courte pièce. Si Kaddour, un des trois survivants  d’un douar rasé par l’aviation, reviendra mourir près de son olivier brûlé au napalm  alors qu’il avait fui. Il restera avec un combattant  blessé. Les deux autres survivants, une fillette terrorisée et un adolescent qui rêve de revanche et de maquis, emporteront avec eux le message secret que leur avait confié le combattant condamné par sa blessure. 

M.B

 

 

  1. https://www.lesoirdalgerie.com/articles/2013/08/15/article.php?sid=152739&cid=41
  2. Publiées par Nils Anderson –La cité-Editeur. 1962.
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