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bouhamidimohamed

Le camp – Abdelhamid benzine.

28 Mars 2018 , Rédigé par bouhamidi mohamed Publié dans #Notes de lecture

Illustration. Issiakhem.

Illustration. Issiakhem.

 

Par Mohamed Bouhamidi.

In Horizons du 28 mars 2018

« Nous n’étions pas des héros », très beau  film de Nasredine Guenifi, nous renvoie naturellement  au livre qu’il adapte : «Le camp » de Abdelhamid Benzine(1).   C’est peut-être même une des fonctions des films adaptés que d’être  une narration qui invite à en lire l’autre, celle qui fut écrite. Ce film joue pleinement ce rôle en ce moment opportun où tout est remis en question du principe même de notre guerre de libération et de sa justesse.

En janvier 1961, donc un mois après les manifestations de décembre 1960 qui avaient anéanti les espoirs d’une « Algérie française éternelle », Abdelhamid Benzine est encore prisonnier au bagne de Lambèse. Les luttes multiples des prisonniers leur avaient acquis un statut de quasi-prisonniers de guerre ou de prisonniers politiques. Ils avaient payé par des luttes dures cette condition nouvelle qui leur garantissait une petite protection contre les tortures, les sévices ou, pire, les « liquidations ». Radio, journaux  et discussions permettaient aux prisonniers d’avoir  une fenêtre sur le monde. En cette année 1960, celle d’une « Algérie algérienne » à la de Gaulle, il était indispensable de gagner au projet gaulliste néocolonial « hard », par la contrainte ou la persuasion, des algériens au projet de  « troisième force » formée d’indigènes, une espèce de «harka politique. Le mieux dans le genre aurait été, bien sûr,  des djounoud ou militants retournés. Les administrations pénitencières se firent plus « douces » aussi, dans ce but.

Il apprend, qu’il allait être transféré, avec d’autres compagnons vers un camp militaire en vue de leur « libération » imminente, un mois tout au plus. Tout nouveau, ce camp annexe du camp de Boghari, plus ancien et de sinistre réputation, leur sera « réservé ».

Illustration. Issiakhem.

Illustration. Issiakhem.

Contrairement aux promesses et conformément à leurs craintes, ils entreront dans s un huis-clos fait de tortures, de sévices, de maltraitances extrêmes, de tentatives continues de destruction de leur dignité, de leur être, de leurs pudeurs fondamentales d’hommes. Il leur faudra lécher des bottes, vivre le jeûne du ramadhan sans manger aux heures prescrites et voir un frère obligé de manger, à midi, du porc mélangé à des mouches mortes. Le jour, ils sont à leur travail de forçats à casser des pierres sous les coups, sous le fouet, les injures, les quolibets, les rires des légionaires ou le regard curieux des bidasses. Il faudra même, à deux prisonniers, résister de toutes leurs forces à l’accomplissement d’actes sexuels contre nature sous la menace de mort.

 En sus des soupes immangeables servies dans des gamelles infectes, il leur fallait entendre des sous-officiers qui leur tenaient de longs discours sur leur parcours glorieux d’officiers nazis, sur leurs grandeurs, sur leurs gloires, et jusqu’à se prendre pour Dieu, dans le plus pur modèle de la folie.

La nuit, ce seront d’autres sous-officiers qui les réveilleront pour des séries de pompes démentielles, des coups et des sévices ou pour des séances de tortures pour  leur faire avouer des actes qu’ils  ne pouvaient d’aucune façon avoir commis.

Toutes ces souffrances infligées l’étaient par des alcooliques imbibés d’alcool que l’ivresse rendait encore plus bavards, plus violents, plus cruels alors même que cet état d’ivresse n’est que l’autre côté de leur démence sadique. Le racisme rationalisé des idéologues coloniaux, le racisme rationalisé des médecins de l’apogée coloniale inscrit dans la recherche d’une altérité biologique du noir et du juif, le messianisme civilisateur des prophètes du progrès, se retrouvent tous dans le langage de ces ordures sadiques qui infligent la souffrance sans aucun autre but qu’infliger la souffrance. A des prisonniers de guerres, pris les armes à la main depuis des années, déjà torturés, interrogés des dizaines de fois, coupés du monde extérieur,  qui ne peuvent savoir ni informer de quelques chose leurs tortionnaires.  

Illustration. Issiakhem.

Illustration. Issiakhem.

Ces prisonniers sont livrés au sadisme sans frein de soudards  payés par l’argent de l’Etat français,  parce que des soldats français leur assurent la protection de leurs armes, parce que des officiers français aussi malades qu’eux  leur donnent l’ordre de briser le « fellaga », parce qu’une directive générale leur a prescrit de « contraindre » les prisonniers ALN au point qu’ils acceptent de rejoindre la harka pour se soustraire à ces traitements inhumains.

Bien sûr, les moins forts, détruits physiquement et psychologiquement  rejoindront la France. Il reste à savoir pour l’histoire ce que la France peut tirer comme gloire que d’attirer des êtres brisés ou des traîtres qu’un Clémenceau peut railler mais que l’armée française exhibe comme une gloire ?   

Un huis-clos de prisonniers livrés à des fous sadiques dont le motif  sous-jacent sera celui du racisme le plus ordinaire mais porté par la racaille que rassemblait - que rassemble toujours ? – la Légion Etrangère.

Car il fallait à ces fous, qu’ils reproduisent dans leurs discours, le fond même de la rationalité coloniale, celle de la mission  civilisatrice, du fort au faible, du supérieur à l’inférieur, du maître par mérite à l’esclave par nature et vocation, du civilisé au sauvage.  

Qui du soudard ou de l’idéologue est l’image de l’autre, qui est la vérité de l’autre ? La réponse est dans les délires des soudards. Ils sont la seule vérité de l’entreprise coloniale. Ils sont la violence qui a accouché de l’histoire coloniale. Ils sont la violence qui la perpétue. Ils sont la violence physique jumelle de  la violence symbolique du messianisme civilisateur. Ils sont le symptôme de la maladie des idéologues, c’est pour cela que toutes leurs violences s’accompagne de l’idéologie raciste et coloniale dans sa vérité de délire et dans sa vérité d’anéantissement de l’autre, de l’autre indigène.

Dans cet enfer, Abdelhamid benzine réussira sous la protection des frères à écrire le récit de cette géhenne, avec des bouts de crayon, des bouts de pages, des bouts de bougie, de bouts de rien, de bouts de répit entre deux sévices, deux tortures et dans le malheur d’un frère assassiné.

Quand le récit sera connu, des correctifs seront amenés dans cet univers dantesque.

Ô paradoxe, c’est la lutte de Benzine et de ses compagnons qui permettront  à des officiers de l’armée française restés honnêtes de pouvoir réagir contre la peste fasciste qui avait pris la tête de leur armée. 

Le but de ce récit écrit et sorti clandestinement du camp a été atteint sur le moment.  Quelques vies ont été sauvées, les conditions des prisonniers améliorées, des officiers français ont trouvé là l’appui qui leur a permis de sauver le peu d’honneur qui restait à cette armée française qui s’est pourrie dans sa « sale guerre » d’Algérie.

Il reste à rendre hommage et respect à ces combattants extraordinaires que furent ces prisonniers d’un camp de la honte et de la mort par la défense de leur mémoire, par la défense de leurs luttes.

Abdelhamid Benzine nous en donne les moyens et l’exemple.

M.B

Le camp - Abdelhamid benzine – 1961 réédité en 1986 et en 1990 apr les Editions El Adib ( illustrations de M’hamed Issiakhem)

1-par Henri Alleg, une biographie de Abdelhamid benzine.    https://www.humanite.fr/node/281185

Source : Horizons du 28 mars 2018

 Vous pouvez trouver le livre à télécharger en PDF en annexe de ce texte de S. Hadjerès. Lien : http://www.socialgerie.net/spip.php?article1178

 

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