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bouhamidimohamed

Samir Amin : La Révolution d’octobre 1917 a amorcé la transformation du monde

10 Avril 2017 , Rédigé par Samir Amin Publié dans #-résistances culturelles

Par Samir Amin

L’objectif de cet article, écrit pour le centenaire de la Révolution d’octobre 1917, n’est certainement pas de vilipender ce gigantesque premier projet socialiste, faisant écho à la glorieuse Commune de Paris (1871), l’une et l’autre « parties à l’assaut du ciel ». L’humanité entière doit beaucoup à l’Union soviétique issue de cette révolution, car c’est l’Armée Rouge et elle seule qui a mis en déroute les hordes nazies. Le modèle de l’Union soviétique, celui d’un Etat pluri national fondé sur le soutien apporté par les moins démunis aux plus démunis, demeure inégalé jusqu’à ce jour. Le soutien de l’Union soviétique aux luttes de libération nationale des peuples d’Asie et d’Afrique avait en son temps contraint les puissances impérialistes à reculer et à accepter une mondialisation polycentrique, moins déséquilibrée, plus respectueuse de la souveraineté des nations et de leurs cultures.

Mais l’objet de cette étude n’est pas non plus de nourrir un regard nostalgique sur ce passé. Au contraire je tenterai d’identifier les erreurs et les faiblesses de la construction d’origine puis les dérives qui ont inspiré les tentatives de sa réforme et, avec l’échec de celles-ci, conduit à la restauration brutale du capitalisme, mettant un terme à cette première grande vague d’avancées de l’humanité en direction du socialisme.

Les leaders soviétiques face aux défis de la réalité.

Lénine, et l’ensemble des dirigeants du courant bolchévique (plus tard qualifié de léniniste), puis Staline, ont façonné dans un premier temps l’histoire de la révolution russe suivie de la construction de l’URSS, tandis que dans un second temps Khroutchev, Brezhnev et finalement Gorbatchev et Eltsine, ont accompagné le déclin du projet soviétique jusqu’à son effondrement.

Leaders de partis communistes, révolutionnaires, puis responsables de l’Etat, confrontés aux problèmes de la révolution triomphante dans ce pays du capitalisme périphérique, les bâtisseurs de l’Union Soviétique ont été contraints de « réviser » (j’emploie à dessein ce terme, considéré comme sacrilège par beaucoup) les thèses héritées du marxisme historique de la Seconde Internationale. Lénine et Boukharine, allant plus loin que les analyses de Hobson et Hilferding concernant le capitalisme des monopoles et l’impérialisme, en ont tiré la conclusion politique majeure : la guerre impérialiste de 1914-1918 (prévue par eux seuls ou presque) rendait nécessaire et possible une révolution guidée par le prolétariat. Boukharine l’écrit en 1915 (L’impérialisme et l’accumulation du capital) et Lénine en 1916 (L’impérialisme, stade suprême du capitalisme).

Avec le bénéfice du recul du temps, je signalerai ici les limites de leurs analyses, Lénine et Boukharine considèrent l’impérialisme comme étape nouvelle (« suprême ») associée au passage au capitalisme des monopoles. J’ai remis en question cette thèse et considéré que le capitalisme historique a toujours été impérialiste, au sens de générateur d’une polarisation entre ses centres et ses périphéries dès l’origine (le XVIe siècle), approfondie au cours de tout son déploiement mondialisé ultérieur. Le système du XIXe siècle pré-monopoliste n’en était pas moins impérialiste ; et la Grande Bretagne tenait son hégémonie précisément de sa domination coloniale de l’Inde. Lénine et Boukharine pensaient que la révolution, amorcée en Russie (« le maillon faible ») devait se poursuivre dans les centres (en Allemagne en particulier). Leur espoir était fondé sur une sous-estimation des effets de la polarisation impérialiste, annihilant la perspective révolutionnaire dans les centres.

Néanmoins Lénine tire rapidement la leçon que l’histoire lui impose. La révolution, faite au nom du socialisme (et du communisme), est en fait autre chose : largement une révolution paysanne. Alors que faire ? Comment associer la paysannerie à la construction du socialisme ? En faisant des concessions au marché et en respectant la nouvelle propriété paysanne acquise ; en progressant donc lentement vers le socialisme ? La NEP mettra en œuvre cette stratégie.

Oui, mais … car Lénine et Staline comprennent aussi que les puissances impérialistes n’accepteront jamais ni la Révolution, ni même la NEP. Car la Russie soviétique, fut-elle loin de pouvoir construire le socialisme, se libère du carcan que l’impérialisme entend imposer à toutes les périphéries du système mondial qu’il domine ; la Russie soviétique déconnecte. Après les guerres chaudes d’intervention, la guerre froide va être permanente, de 1920 à 1990. L’Occident impérialiste, comme les Nazis, ne tolèrent pas l’existence même de l’Union soviétique. De leur côté Lénine puis Staline tentent par tous les moyens de leur faire comprendre qu’ils n’entendent pas « exporter » leur révolution ; ils recherchent la coexistence pacifique par tous les moyens diplomatiques à leur disposition.

Dans l’entre-deux guerres Staline avait désespérément recherché l’alliance des démocraties occidentales contre le nazisme. Les puissances occidentales ne répondent pas à cette invitation ; et, au contraire, cherchent à pousser l’Allemagne hitlérienne à faire la guerre à l’Union soviétique. Le triste accord de Munich en 1937, suivi du refus de la main que Staline leur tend en 1939, en témoignent. Staline parviendra fort heureusement à mettre en échec la stratégie des puissances « démocratiques » par l’accord de dernière minute passé avec l’Allemagne au lendemain de l’invasion de la Pologne. Plus tard, avec l’entrée en guerre des Etats Unis, Staline renouvellera ses tentatives de fonder l’après-guerre sur une alliance durable avec Washington et Londres. Il n’y renoncera jamais. Mais là encore la politique de coexistence et de paix recherchée par l’Union soviétique sera mise en échec par la décision unilatérale de Washington et de Londres de mettre un terme à l’alliance de guerre en prenant l’initiative de la guerre froide, au lendemain de Potsdam, lorsque les Etats Unis disposent du monopole des armes nucléaires. Les Etats Unis et leurs alliés subalternes de l’Otan poursuivent systématiquement une politique de « roll back », sans désemparer de 1946 à 1990 et au-delà. L’Otan, présentée aux opinions naïves comme un instrument défensif contre les ambitions agressives attribuées à Moscou, a révélé sa nature véritable avec l’annexion de l’Europe orientale et les missions nouvelles que cette organisation agressive s’est donnée au Moyen Orient, en Méditerranée, au Caucase, en Asie Centrale et désormais en Ukraine. (Voir : Geoffrey Roberts, Les guerres de Staline ; préface importante d’Annie Lacroix Riz).

Alors que faire ? Tenter d’imposer la coexistence pacifique, en faisant s’il le faut quelques concessions, en s’abstenant d’intervenir trop activement sur la scène internationale ? Mais en même temps, il faut s’armer pour faire face à de nouvelles agressions, difficiles à éviter. Et cela implique d’accélérer l’industrialisation, qui à son tour entre en conflit avec les intérêts de la paysannerie et menace donc de rompre l’alliance ouvrière et paysanne sur la base de laquelle fonctionne l’Etat issu de la révolution.

Dès 1947 la puissance impérialiste dominante de l’époque les Etats Unis, proclamait le partage du monde en deux sphères, celle du « monde libre » et celle du « totalitarisme communiste ». La réalité que représentait le tiers monde était superbement ignorée, celui-ci étant considéré comme ayant le privilège d’appartenir au « monde libre » puisque « non communiste » ; la « liberté » considérée n’étant autre que celle du déploiement du capital, au mépris de la réalité de l’oppression coloniale ou semi coloniale. L’année suivante Jdanov (en fait Staline) dans son fameux rapport qui a été à l’origine de la mise en place du Kominform (forme atténuée de renaissance de la troisième internationale), partageait lui aussi le monde en deux sphères, la sphère socialiste (l’URSS et l’Europe de l’Est) et la sphère capitaliste (le reste du monde). Le rapport ignorait les contradictions qui, au sein de la sphère capitaliste, opposent les centres impérialistes aux peuples et nations de périphéries engagées dans des luttes pour leur libération.

La doctrine Jdanov poursuivait un objectif prioritaire : imposer la coexistence pacifique et par ce moyen calmer les ardeurs agressives des Etats Unis et de leurs alliés subalternes européens et japonais. En contrepartie l’Union soviétique accepterait d’adopter un profil bas, s’abstenant de s’ingérer dans les affaires coloniales que les puissances impérialistes concevaient comme leurs affaires intérieures. Les mouvements de libération, y compris la révolution chinoise, n’ont pas été soutenus avec enthousiasme à cette époque, et se sont imposé par eux-mêmes. Mais leur victoire (en particulier évidemment celle de la Chine) apportait des changements dans les rapports de force internationaux. Moscou n’en a pris la mesure qu’après Bandung, ce qui lui permettait, par son soutien aux pays en conflit avec l’impérialisme de briser son isolement et de devenir un acteur majeur dans les affaires mondiales.

Le rapport Jdanov a été accepté sans réserve par les partis communistes européens et par ceux de l’Amérique latine de l’époque. Par contre il s’est presque immédiatement heurté à des résistances dans les partis communistes d’Asie et du Moyen orient. Résistances dissimulées dans le langage de l’époque affirmant toujours « l’unité du camp socialiste » rangé derrière l’URSS, mais qui allaient ouvertement prendre corps au fur et à mesure que se développaient les luttes pour la reconquête de l’indépendance, singulièrement après la victoire de la révolution chinoise (1949).

J’ai apporté dans mes Mémoires un témoignage personnel concernant cette histoire, ayant eu l’heureuse chance de participer dès 1950 à l’un des groupes de réflexion concernés associant des communistes égyptiens, irakiens et iraniens, et quelques autres. L’information concernant le débat chinois, inspiré par Zhou En Lai, n’a été portée à notre connaissance par le camarade Wang Hué (trait d’union avec la revue Révolution au comité de rédaction de laquelle je participais) que bien plus tard, en 1963. Nous avions des échos du débat indien et de la cassure qu’il avait provoquée, affirmée plus tard par la construction du CPM. Nous savions que les débats au sein du PC indonésien et de celui des Philippines se développaient selon des lignes parallèles.

On comprend alors les louvoiements de Lénine, Boukharine et Staline face au double défi de la question agraire et de l’agressivité des puissances occidentales. En termes théoriques on bascule d’un extrême à l’autre : tantôt on adopte une attitude déterministe qu’inspire la vision étapiste du marxisme hérité (l’étape de la révolution démocratique bourgeoise d’abord, puis celle du socialisme), tantôt on cède au volontarisme (l’action politique permet de sauter les étapes). Finalement, à partir de 1930/1933 (non sans rapport avec la montée du fascisme), Staline impose le choix de l’industrialisation et de l’armement accélérés.

La collectivisation en est le prix. Ici encore gardons-nous de juger trop vite : tous les socialistes de l’époque (et encore davantage les capitalistes) partagent les analyses de Kautsky sur ce point et sont persuadés que l’avenir appartient à la grande exploitation agricole (je fais ici allusion aux thèses de Kautsky, La question agraire ; première édition 1899).L’idée que l’exploitation familiale modernisée est plus efficace que la grande exploitation devra attendre longtemps avant d’être admise. Les agronomes (en particulier ceux de l’école française) ont compris avant les économistes que la division extrême du travail du modèle industriel ne convenait pas dans l’agriculture ; l’agriculteur est confronté aux exigences de tâches polyvalentes difficiles à prévoir. Je renvoie le lecteur aux analyses que j’ai proposées concernant la centralité de la nouvelle question agraire (ref, La crise, sortir de la crise du capitalisme ou sortir du capitalisme en crise ?; chap 5).

Néanmoins la rupture de l’alliance ouvrière et paysanne que le choix de la collectivisation a impliqué dans les formes qu’elle a empruntés est à l’origine de l’abandon de la démocratie révolutionnaire et de la dérive autocratique.

Les communistes chinois apparaissent plus tard sur la scène révolutionnaire. Mao sait alors tirer la leçon des louvoiements des bolcheviks. La Chine est confrontée aux mêmes problèmes que la Russie soviétique : révolution dans un pays attardé, nécessité d’associer la paysannerie à la transformation révolutionnaire, hostilité des puissances impérialistes. Mais Mao peut voir désormais plus clair que Lénine, Boukharine et Staline. Oui, la révolution chinoise est anti-impérialiste et paysanne (anti-féodale). Mais elle n’est pas démocratique bourgeoise ; elle est démocratique populaire. La différence est de taille ; elle impose une perspective longue de maintien de l’alliance ouvrière et paysanne. Cela permettra à la Chine de ne pas faire l’erreur fatale de la collectivisation forcée ; et d’inventer une autre voie associant la propriété d’Etat sur tout le sol agraire, l’accès égal des paysans à l’usage de la terre et l’exploitation familiale rénovée. Mao donne une réponse nouvelle à la question agraire, fondée sur la petite exploitation familiale rénovée sans petite propriété, réduisant la pression migratoire vers les villes, permettant d’associer l’objectif stratégique de la souveraineté alimentaire à la construction s’un système industriel national complet et moderne. Concernant le traitement de la question agraire par le maoisme je renvoie à mes développements dans mon article « Chine 2013 » (La Pensée, 2013). La formule est certainement la seule réponse possible à la question agraire pour tous les pays du Sud contemporain, même si les conditions politiques permettant sa mise en œuvre n’ont été réunies qu’en Chine et au Vietnam.

 

Trente ans de critique du soviétisme (1960-1990)

 

1. A l’exception des individus au tempérament de prophètes, nul ne peut se vanter de n’avoir pas été quelque peu surpris par l’effondrement rapide et total des systèmes politiques et économiques en Europe de l’Est et en URSS. Néanmoins l’effet de surprise passé, il est bon de revenir sur les analyses de ces systèmes que les uns et les autres avaient produites une trentaine d’années plus tôt. Quitte à paraître manquer de modestie j’oserai dire que je me suis situé depuis 1960 dans un courant de la gauche – fort minoritaire – qui avait prévu, dans ses lignes générales, ce qui est finalement arrivé brutalement entre 1989 et 1991. Bien entendu cet effondrement, que nous considérions comme fort probable, n’était pas la seule issue possible à la crise du système soviétique. Je ne crois pas à un quelconque déterminisme linéaire sans faille en histoire ; les contradictions qui traversent toute société trouvent toujours leur solution dans des réponses diverses par leur contenu social, c’est-à-dire qu’il y avait toujours la possibilité que le régime soviétique tombe à droite (ce qui est arrivé) ou qu’il évolue (ou tombe) à gauche. Cette dernière possibilité, qui est maintenant exclue de l’avenir immédiat, reste cependant à l’ordre du jour de l’histoire, non seulement parce que celle-ci n’a jamais de fin, mais encore et surtout parce que je doute fort que la solution de droite à l’œuvre stabilise les sociétés de l’Est, même dans le moyen terme. La lutte pour une autre solution à leurs problèmes continue donc.

De la mort de Staline (1953) et surtout du XXe Congrès (1956) à la chute de l’expérience khroutchévienne (1964) la période est marquée par une première tentative qui prétend dépasser le stalinisme et par le conflit idéologique et politique ouvert sur ce terrain entre Moscou et Pékin ; la période qui suit – dite de la « glaciation brezhnévienne » – se prolonge jusqu’à l’avènement de Gorbatchev (1985) ; la tentative ambigüe de « perestroïka », amorcée à partir de 1985 s’épuise pour s’achever en quelques années dans l’effondrement (1989-1991). Je reviendrai sur la portée de cette prétendue critique du stalinisme et sur le sens des réformes entreprises de Khroutchev à Gorbatchev.

Ces évolutions et phases successives doivent elles-mêmes être articulées sur celles qui ont opérée au niveau mondial, tant au plan de l’expansion capitaliste (et notamment en ce qui concerne l’évolution de la construction de l’Union européenne ; les formes nouvelles de la mondialisation etc.), qu’à celui des équilibres militaires entre les deux superpuissances et des réponses politiques associées à la course aux armements (et notamment à l’époque de Brezhnev les initiatives soviétiques en direction du tiers monde ou dans le conflit avec la Chine, comme les stratégies américaines de guerre froide – jusqu’à la course à la « guerre des étoiles » mise en œuvre à partir de 1980 par Reagan). De ce fait les options internes et les politiques internationales s’enchevêtrent tout au long de ces trente années.

Depuis 1960 certainement, à partir même de 1957, j’ai cessé de considérer que la société soviétique pouvait être qualifiée de socialiste, et le pouvoir d’ouvrier, fut-il « déformé par la bureaucratie » selon l’expression trotskiste célèbre. J’ai d’emblée qualifié la classe (et je dis bien la classe) dirigeante de bourgeoisie. J’entends par là que cette classe (la « nomenklatura ») dans toutes ses aspirations se regardait dans le miroir de « l’Occident » dont elle enviait de reproduire le modèle. C’est ce que Mao avait parfaitement formulé en une phrase prononcée en 1963, s’adressant aux cadres du P.C. chinois : « Vous (c’est à dire vous, cadres du P.C. chinois, comme en URSS) avez construit une bourgeoisie. N’oubliez pas ; la bourgeoisie ne veut pas le socialisme, elle veut le capitalisme ».

J’ai tiré les conclusions logiques de cette analyse, concernant le parti et l’attitude des classes populaires à l’égard de ce pouvoir. Pour moi il était clair que les classes populaires ne se reconnaissaient pas dans ce pouvoir (bien qu’il continue à se proclamer socialiste) qu’elles considéraient au contraire comme leur adversaire social réel, à juste titre. Dans ces conditions le parti était un « cadavre en décomposition depuis fort longtemps » devenu en fait instrument du contrôle social des classes populaires par les classes dirigeantes. Complétant le travail des institutions répressives (le K.G.B.), le P.C., organisait des réseaux de clientèles populaires (par le contrôle et la distribution de tous les avantages sociaux, même les plus minces) paralysant de la sorte leur révolte éventuelle. En cela ce type de parti n’est pas d’une nature différente de celle de nombreux partis uniques du tiers monde, qui remplissent les mêmes fonctions (sous le label du nationalisme radical comme le nassérisme, le F.N.L., algérien, le Baath ou même sans ce label). Il s’agit donc d’une forme générale propre aux situations où la bourgeoisie en voie de constitution n’a pas encore établi son hégémonie idéologique (« l’idéologie de la classe dominante est l’idéologie dominante de la société » dit Marx à propos du capitalisme mûr) et, de ce fait, n’apparaît pas comme exerçant un pouvoir légitime (lequel implique un consensus créé par l’adhésion de la société à l’idéologie de sa classe dominante).

Ce type d’exercice du pouvoir, qui émiette les classes populaires par le clientélisme, a un effet dépolitisant dont il ne faut pas sous-estimer les ravages. Les faits démontrent aujourd’hui que cette dépolitisation en URSS est d’une ampleur telle que les classes populaires croient que le régime dont elles se débarrassent était socialiste, et de ce fait acceptent naïvement que le « capitalisme vaut mieux… » Tous les partis de ce modèle s’effondrent comme une construction de papier dès lors que leurs dirigeants perdent le pouvoir d’Etat : personne n’est disposé à risquer sa vie pour la défense d’un appareil de ce genre. C’est pourquoi les luttes au sommet dans ce type de parti prennent toujours la forme de révolutions de palais, sans intervention de la base qui, immanquablement, accepte le verdict de ceux qui l’ont emporté.

Même si, pour moi, il était évident que la société soviétique n’était pas socialiste, il me paraissait toujours beaucoup plus difficile de la qualifier positivement. Pour moi le socialisme implique plus que l’abolition de la propriété privée (une définition négative), il implique positivement d’autres rapports au travail que ceux définissant le statut du salariat, d’autres rapports sociaux permettant à la société dans son ensemble (et non à un appareil opérant en son nom) de maîtriser son devenir social, ce qui à son tour implique une démocratie avancée, plus avancée que la meilleure démocratie bourgeoise. Sur aucun de ces plans la société soviétique ne différait de la société bourgeoise industrialisée, et quand elle s’en écartait c’était en pire, sa pratique autocratique la rapprochant sur ce plan du modèle dominant dans les régions du capitalisme périphérique.

Je refusais néanmoins de qualifier l’URSS de capitaliste en dépit du fait que sa classe dirigeante est – selon moi – bourgeoise. Mon argument est que le capitalisme implique la parcellisation de la propriété du capital, fondement de la concurrence, et que la centralisation étatique de cette propriété commande une logique de l’accumulation différente. En complément, au plan politique, mon argument est que la révolution de 1917 n’était pas une révolution bourgeoise tant par le caractère des forces sociales qui en ont été les acteurs que par celui de l’idéologie et du projet social de leurs forces dirigeantes et que cette réalité ne peut être tenue pour négligeable.

Je n’attribue pas une grande importance à la qualification positive du système. J’ai utilisé à ce propos les expressions successives de capitalisme d’Etat, de capitalisme monopoliste d’Etat, dont j’ai critiqué les ambiguïtés, pour finalement adopter le terme neutre de « mode de production soviétique ». Ce qui me paraissait plus important c’était la question des origines, de la formation et de l’évolution de ce système et, dans ce cadre, celle de son avenir.

Je n’étais pas de ceux qui ont jamais regretté la révolution de 1917 (« il ne fallait pas la faire, parce que les conditions objectives d’une construction socialiste n’existaient pas ; il fallait s’arrêter à la révolution bourgeoise »). Car pour moi l’expansion mondiale du capitalisme est polarisante et de ce fait, il est inévitable que les peuples qui en sont les victimes – à la périphérie du système – se révoltent contre ses conséquences. On ne peut être qu’avec ces peuples dans leur révolte. Or s’arrêter à la révolution bourgeoise, c’est trahir ces peuples puisque le capitalisme nécessairement périphérique qui en résulterait ne permet pas de donner des réponses acceptables aux problèmes qui ont motivé leur révolte.

Les révolutions russe et chinoise ont donc ouvert une longue transition dont l’issue est fatalement incertaine : la dynamique de leur évolution peut conduire au capitalisme (dont je prétends qu’il ne pourra être que de nature périphérique dominée et non devenir l’analogue de ce qu’il est dans ses centres dominants), comme elle peut faire avancer, dans leur propre société et à l’échelle mondiale, la progression vers le socialisme. Ce qui est important, dans le cadre de cette manière de voir les choses, c’est d’analyser la direction objective dans laquelle on avance. Les deux thèses qui me paraissent importantes dans l’analyse de l’évolution soviétique, et que je partage toujours (avec, il est vrai, une minorité de gauche communiste) sont ici les suivantes :

  • Que la collectivisation telle qu’elle a été mise en œuvre par Staline à partir de 1930 a brisé l’alliance ouvrière et paysanne issue de 1917 et ouvert la voie, à travers le renforcement de l’appareil autocratique d’Etat, à la formation de la « nouvelle classe » – la bourgeoisie d’Etat soviétique ;
  • Que le léninisme lui-même avait, par certaines de ses propres limites historiques, préparé (involontairement) le terrain pour que ce choix fatal fût fait. J’entends par là que le léninisme n’a pas rompu radicalement avec l’économisme de la IIe internationale (donc du mouvement ouvrier occidental, il faut le dire) : entre autres, par exemple, ses conceptions concernant la neutralité sociale des technologies en témoignent.

 

La société de la longue transition est bel et bien confrontée à des exigences contradictoires : d’une part, il lui faut dans une certaine mesure « rattraper », au sens plat et banal qu’il lui faut développer les forces productives ; d’autre part elle se propose – dans sa tendance au socialisme – de « faire autre chose », c’est-à-dire de construire une société libérée de l’aliénation économiste qui, par nature même, sacrifie « les deux sources de la richesse » : l’être humain (réduit à une force de travail) et la nature (considérée comme un objet inépuisable de l’exploitation humaine). Le peut-elle ? J’ai toujours pensé que la réponse était positive, mais difficile : en fait un compromis pragmatique à développer progressivement dans le bon sens (« faire autre chose »). L’économisme du léninisme contenait en germe un choix qui allait progressivement faire prévaloir l’objectif de « rattrapage » sur celui de « faire autre chose ».

 

Mon ralliement précoce – dès 1958 – au maoïsme, puis – dès 1966 – à la Révolution culturelle – que je ne renie pas, procède de cette analyse que le léninisme n’avait pas suffisamment rompu avec l’économisme occidental (je l’ai exprimé en m’étonnant que Lénine ait été lui-même surpris par la trahison de Kautsky en 1914). J’ai donc adhéré aux thèses que Mao rétablissait un véritable retour à Marx, déformé par le mouvement ouvrier occidental (et l’impérialisme n’a pas été un facteur secondaire dans cette dérive) avant de l’être (de continuer à l’être, partiellement) par le léninisme.

 

Le maoïsme proposait donc une critique du stalinisme par la gauche, alors que Khroutchev l’avait fait par la droite. Khroutchev disait : on n’a pas fait suffisamment de concessions aux contraintes économiques (la révolution technologique et scientifique, la mondialisation) et à leurs implications (donner plus de pouvoirs aux directeurs d’entreprises, c’est-à-dire à la bourgeoisie soviétique). Khroutchev disait : à ses conditions nous rattraperons plus vite. Mao disait : il faut à chaque étape ne pas perdre de vue l’objectif final. C’était le sens de « mettre la politique aux postes de commande » (un sens qui n’a rien à voir avec l’accusation – facile – de volontarisme). Mao était persuadé – à juste titre, l’évolution ultérieure le prouve en URSS comme en Chine – que la question devait être tranchée au niveau du pouvoir : remettre en cause le monopole du P.C., creuset de la formation de la nouvelle bourgeoisie. D’où son mot d’ordre déclenchant la révolution culturelle : « Feu sur le Quartier général » (le P.C.). Il pensait – avait-il tort ? – que c’était là le seul moyen capable de faire progresser le contrôle des travailleurs sur la vie sociale et de faire reculer la bureaucratie. Il ne pensait pas que des concessions aux lois du marché – plus de pouvoir aux directeurs d’entreprises, plus de concurrence entre elles – feraient progresser ce pouvoir social du peuple. Avait-il tort ? Je ne dis pas qu’il ne fallait pas faire de concessions au marché. La N. E. P. l’avait fait, avec succès en son temps. Il fallait en faire, et de plus courageuses que celles qui ont été entreprises. Mais il fallait surtout : les accompagner par une démocratisation politique ; renforcer les pouvoirs réels des travailleurs dans cette démocratie au détriment de ceux de la bourgeoisie des « technocrates » ; encadrer le marché par une politique d’Etat ferme fondée sur la loi de la valeur de la transition socialiste.

Les Yougoslaves ont tenté de le faire, beaucoup trop timidement et mal : trop grande ouverture extérieure, trop grandes concessions laissant s’accentuer les tendances internes à l’inégalité entre les Républiques au nom de la compétitivité, décentralisation excessive plaçant les collectifs de l’autogestion en position de concurrence mutuelle. En URSS rien n’a été fait dans ces directions.

  1. La question centrale, à mon avis, concernant « le mode de production soviétique », était de savoir s’il s’agissait d’une solution instable, caractéristique de la transition (il doit évoluer, soit vers le capitalisme, soit vers le socialisme), ou d’un mode « stable », nouveau et même – malgré ses défauts – préfigurant l’avenir des autres sociétés (capitalistes normales). Je fais sur ce point mon autocritique. J’ai pensé un moment – entre 1975 et 1985 – que le mode soviétique était une forme stable, d’avant-garde même, de ce que la tendance normale du capitalisme devrait engendrer ailleurs, par le jeu même de la centralisation du capital, conduisant des monopoles privés à celui de l’Etat. Il y avait, à l’époque, des indices allant dans ce sens. Je ne parle pas de la stabilité apparente de l’URSS brezhnévienne. Je me réfère plutôt, soit à des anciens (la théorie de Boukharine sur le capitalisme monopoliste d’Etat), soit à des propositions de l’époque : la « convergence des systèmes » que Jan Tinbergen croyait déceler, rapprochant non pas seulement l’URSS de l’Ouest avancé, mais aussi l’Ouest avancé de l’URSS, de positions allant dans ce sens prises par les ailes gauches des social-démocraties fortes (en Suède par exemple avec le projet de rachat de l’industrie par les syndicats), l’eurocommunisme etc. Or il semblait que la centralisation étatique du capital, en supprimant la concurrence – et donc l’opacité du marché (amorcé par la proximité entre les prix administrés par les monopoles et ceux administrés par le Gosplan) – inaugurait un retour à la dominance de l’idéologie. Cette idéologie n’était pas un retour aux religions métaphysiques de l’époque tributaire, mais l’idéologie de la marchandise triomphante. Il y avait l’image forte du 1984 d’Orwell (à la réhabilitation de la connaissance duquel j’ai contribué à l’époque), l’analyse des bases du consensus monolithique des sociétés prétendues libérales et démocratiques de l’Occident proposée par l’Homme Unidimensionnel de Marcuse, qui ravivait à mon souvenir ma lecture de Polanyi. Le « mode étatique – forme suprême du capitalisme » – pourquoi pas ? Dans ce cas le mode soviétique, en dépit de ses aspects primitifs (Ah ! que Staline aurait rêvé d’avoir, pour façonner une opinion monolithique de télévision C. N. N., illustre depuis la guerre du Golfe, au lieu de la Pravda !), préfigurait l’avenir (triste). Je greffais sur ces considérations l’observation que dans la révolution bourgeoise la lutte des paysans contre les féodaux ne s’était pas soldée par la victoire des opprimés, mais par l’ascension du « troisième larron » : la bourgeoisie. Alors pourquoi le combat des ouvriers (ou des salariés) contre les capitalistes ne devrait-il pas faire l’affaire de la « nouvelle classe » ? Les faits m’ont donné tort. Non seulement le régime soviétique s’est révélé instable, mais encore l’offensive de la droite mondiale, à partir de 1980, va dans le sens inverse : dérégulation, privatisation sont ses thèmes, qui ont le vent en poupe.

Je reviens quand même sur cette autocritique, peut-être pour la nuancer. Que le modèle soviétique ait été incapable de d’ériger en alternative définitive, imitée progressivement par les autres, soit. Les faits sont là pour prouver qu’il n’en est pas ainsi. Mais cela tient peut-être seulement à ses propres faiblesses. Cela n’exclut pas qu’ailleurs – dans le monde développé – on évolue – plus tard, une fois la vague de l’utopie libérale de nos années passées, et elle n’en a pas pour longtemps – dans un sens préfiguré par le modèle préhistorique que l’URSS aura illustré.

Au terme du cycle soviétique désormais clos, un bilan s’impose. Celui-ci n’est certainement ni « globalement positif », ni à l’inverse « globalement négatif ». L’URSS, et après elle la Chine et même les petits pays de l’Europe orientale, ont construit des économies autocentrées modernes comme aucun pays du capitalisme périphérique n’est parvenu à le faire. La raison en est, selon mes analyses, que la bourgeoisie soviétique a été produite par une révolution nationale populaire (dite socialiste), tandis que les bourgeoisies du tiers monde, constituées dans le sillage de l’expansion mondiale du capitalisme, sont, dans leur nature dominante, de type compradore.

La nature exceptionnelle dans l’histoire de la construction de l’Union Soviétique, amorcée par Lénine et achevée par Staline, doit être rappelée. Lénine, communiste internationaliste, ne pouvait imaginer autre chose qu’une union de nations engagées sur pied d’égalité dans une construction socialiste commune. L’Union Soviétique, qui a mis en œuvre ce principe sans jamais s’en écarter d’un pouce, était de ce fait un Etat plurinational et non un Empire constitué par une métropole et des colonies. Le système économique soviétique (qu’il ait été socialiste ou autre chose) était parfaitement intégré : les salaires et les prix étaient rigoureusement identiques de Moscou à Bakou ou Tachkent . Cela n’a jamais été le cas dans les Empires de l’impérialisme capitaliste (le même salaire pour l’ouvrier britannique et celui de Mumbai !). Le flux des capitaux allait donc en Union Soviétique des régions avancées vers les périphéries pauvres ; c’est tout simplement le contraire de ce qui caractérise le monde capitaliste. L’Union Soviétique a inventé « l’aide internationale » et en a réellement mis en œuvre le principe ; alors que le discours occidental concernant l’aide internationale est un discours mensonger, accompagné dans la réalité par le pillage des ressources des périphéries dominées et la surexploitation de leur travail.

La destruction de l’Union n’a donc en aucune manière constitué un progrès permettant à des nations prétendues opprimées de se libérer du joug colonial russe, comme le répètent les médias impérialistes. Beaucoup des nations concernées, notamment en Asie Centrale, ne souhaitaient pas quitter l’Union, dont Eltsine les a chassées avec le consentement tacite de son complice Gorbatchev. Ailleurs – dans les républiques baltes, en Ukraine, en Géorgie – les puissances de l’Otan ont soutenu ouvertement des groupes nazis et des mafias criminelles pour parvenir à leurs fins (concernant le coup d’Etat euro-nazi de Kiev je renvoie le lecteur à mon livre La Russie dans la longue durée, chap.6). Le peuple de l’Allemagne de l’Est a été brutalement dépossédé de ses richesses au bénéfice exclusif d’une poignée d’oligarques financiers de l’Allemagne de l’Ouest. Un sort analogue est aujourd’hui réservé au peuple grec, dont les richesses sont hypothéquées au bénéfice des oligarques de l’Europe occidentale. En dépit de leur intégration formelle dans l’Union, Européenne, les pays de cette région sont devenus des semi-colonies de leurs partenaires occidentaux, en particulier de l’Allemagne. Le rapport que l’Europe orientale entretient avec l’Europe occidentale est l’analogue de celui par lequel l’Amérique latine a été soumise aux Etats Unis.

Même aujourd’hui l’option capitaliste ouverte de l’URSS et de l’Europe de l’Est met à nouveau à l’ordre du jour la périphérisation de leur économie et société, à laquelle les classes populaires (et même les bourgeoisies locales) que la dépolitisation produite par le despotisme étatiste aveugle ne sont pas préparées.

3. J’ai toujours refusé (et refuse toujours) les analyses du système proposées par les appareils de propagande du capitalisme, popularisées par les médias.

  • L’opposition proposée entre « l’économie de pénurie » (du socialisme) et « l’économie d’abondance » (du capitalisme) constitue un discours idéologique creux. Il est bien évident que la pénurie (les queues etc.) était produite par la fixation (volontaire) de prix permettant un large accès à la consommation, une concession aux pressions égalitaristes exercées tant par les classes populaires que par les couches moyennes. Il est évident qu’en relevant massivement les prix, il n’y a plus de queues… mais la pénurie, apparemment disparue, est toujours là, pour ceux qui n’ont plus accès à la consommation. Les magasins au Mexique et en Egypte regorgent de produits, et il n’y a pas de queues devant les boucheries bien que la consommation de viande per capita y soit très inférieure à ce qu’elle était en Europe de l’Est. Cette thèse infantile a néanmoins fait la fortune du hongrois Kornai, propulsé par la Banque Mondiale.
  • « L’économie de commandement » opposée au « marché autorégulateur » mise à la mode par les universitaires américains est également d’un simplisme idéologique outrageant. L’économie soviétique réelle a toujours été fondée sur un mélange d’ajustements par le marché (opérant ex post et/ou prévus par le Plan, correctement ou non) et d’injonctions administratives (notamment en matière d’investissements). Le marché, idéalisé par l’idéologie dominante du libéralisme, n’a jamais été autorégulateur au-delà des contraintes du système social dans lequel il opère et des politiques d’Etat qui en définissent le cadre. Le vrai problème est ailleurs : la dynamique de l’accumulation opérant dans le cadre de la centralisation étatique du capital (correspondant à une classe-Etat intégrée) est différente de celle de l’accumulation capitaliste qui, à l’époque moderne, ne résulte pas des lois du marché définies in abstracto et idéalement, mais de la concurrence des monopoles.
  • La soumission de l’ensemble de l’appareil économique aux exigences de la priorité donnée aux secteurs militaires était, jusqu’à un certain point, un fait, au moins depuis 1935. Est-ce à dire que le système soviétique est « militaire », et – on le suggère – qu’il porte en lui de ce fait l’expansionnisme extérieur (par la conquête) « comme la nuée de l’orage » ? J’ai critiqué ces billevesées idéologiques, faisant pendant à la simplification selon laquelle le capitalisme est lui-même nécessairement et toujours « fauteur de guerres ». L’analyse de l’importance relative – et du poids social – des dépenses militaires ne peut être conduite sur le terrain de la logique pure des modes de production, son terrain véritable est l’analyse de la structure et de la conjoncture des systèmes globaux, nationaux (locaux) et international (régional). Dans cette optique il est bien évident que la course aux armements a été imposée à l’URSS par ses véritables ennemis (et faux amis) que sont les puissances capitalistes, Etats Unis en tête, qui ont initié la guerre froide.
  • Le discours sur le « totalitarisme », dans ses versions universitaires prétentieuses ( à la Arendt) ou dans celles infantilisées par les médias (pour faire passer l’adversaire comme « l’Empire du mal » – le terme est celui qu’un président américain a utilisé, et dont on s’est abstenu de faire le rapprochement avec le discours de l’Ayatollah Khomeyni qui, finalement, ne s’exprimait que dans des termes analogues), n’a pas davantage de consistance. A-t-on oublié qu’il prétendait que la société, devenue amorphe, ne saurait jamais se libérer de ce type de despotisme ?

J’ai critiqué dès l’origine – c’est-à-dire le milieu des années 1960 – les propositions faites par les réformateurs soviétiques. J’y voyais une tentative de dépasser les impasses du stalinisme par la droite et non par la gauche.

Ces propositions illustraient ce que j’appelais « l’utopie de la construction d’un capitalisme sans capitalistes ». L’école de Novossibirsk, dont sont sortis la plupart des inspirateurs de Gorbatchev, poussait la logique Walrasienne jusqu’à son terme : elle imaginait un marché autorégulateur pur et parfait, qui exige – Walras l’avait déjà compris et Barone exprimé dès 1908 – non à la propriété privée parcellisée, mais la centralisation étatique totale de la propriété et la mise aux enchères permanentes de l’accès aux moyens de production à tous les individus, qui seraient libres de se proposer en vendeur de leur force de travail ou en organisateur de la production (entrepreneurs). Ce vieux rêve Saint-Simonien de la gestion scientifique de la société, repris par la social-démocratie allemande (Engels est le premier à y avoir vu le rêve d’un capitalisme sans capitalistes), exprime, poussé à ses limites extrêmes, l’aliénation économiste de toute l’idéologie bourgeoise, dont le matérialisme historique tentait de montrer le caractère irréel et utopique.

Or cette philosophie est à la clé de l’ensemble des conceptions réformistes de Khrouchtchev à Gorbatchev, en passant même par ses versions édulcorées à l’époque de Brezhnev. L’histoire a démontré que ces conceptions étaient intenables et que la dérive à droite devait aboutir à son terme : la transformation de la bourgeoisie soviétique en une bourgeoisie normale, propriétaire privée.

Ces tentatives expliquent que « la révolution des années 1989-1991 » ait été faite par le haut, par la classe dirigeante elle-même, et non par le bas, par le peuple. Les médias occidentaux veulent présenter les révolutions de l’Est comme celles de la liberté, se gardant d’analyser la vulnérabilité de la démocratisation, qui risque fort d’être seulement le moyen d’assurer la transition au capitalisme sauvage, toujours nécessairement despotique comme on peut le voir par l’expérience historique des périphéries capitalistes. J’ai dit par contre que ces révolutions n’auraient mérité cette qualification que si le dépassement du système s’était fait par la gauche et que, telles qu’elles sont, elles ne constituent que des accélérations (mais prodigieuses et de ce fait inattendues) de l’évolution naturelle du système (en dépit de la thèse du blocage totalitaire).

4. Gorbatchev qui semble avoir pensé pouvoir maîtriser ce processus de réformes, n’imaginait pas qu’il serait débordé par la majorité de la classe qu’il représentait (la nomenklatura) – comme le succès d’Eltsine l’a montré, pas plus qu’il n’imaginait l’insignifiance du P.C. qui allait se révéler incapable d’opérer comme courroie de transmission du projet au niveau populaire. La bourgeoisie soviétique (la nomenklatura) sera la bourgeoisie de demain, s’appropriant directement les moyens de production, désormais à titre privé et non plus collectivement par le canal de son Etat. Mais s’il ne s’agit donc pas d’une révolution sociale, il s’agit d’un bouleversement politique d’une ampleur telle qu’il exige des changements radicaux au niveau du personnel dirigeant. De ce fait la montée parallèle d’une couche de nouveau riches aventuriers (les «oligarques»), l’éclatement politique dramatique de l’ancienne nomenklatura, la manipulation des aspirations nationales des peuples de l’Union défunte, étaient difficiles à éviter. Cela fait bien entendu l’affaire des puissances occidentales qui exploitent habilement cette situation (dans le chantage qu’elles exercent sur le terrain de l’aide financière) pour peut-être repousser les frontières de la Russie à celles de la Moscovie du XVIe siècle, ruinant ainsi tout espoir futur de ce pays d’être un concurrent important sur la scène mondiale.

La nouvelle oligarchie mise en place par Gorbatchev et Eltsine qui contrôle le système productif de la Russie procède de la même transformation du capitalisme des monopoles contemporains, laquelle a permis la capture de l’ensemble des pouvoirs économiques et politiques par les oligarchies qui gouvernent seuls aux Etats Unis, en Europe occidentale et au Japon. Mais tandis que ces dernières disposent d’un Etat à leur service exclusif, le pouvoir des oligarchies hors de la triade impérialiste n’est accepté et soutenu par Washington que dans la mesure où elles consentent à remplir leurs fonctions de courroies de transmission de la domination impérialiste étrangère.

La guerre froide se poursuit donc en dépit de la restauration du capitalisme en Russie, pour la seule raison que l’Etat russe, repris en mains par Poutine, n’accepte pas le statut de puissance dominée que les Etats Unis étaient parvenus à lui imposer pendant les années de la présidence de Eltsine. Et cela bien que le système économique de la Russie demeure jusqu’à ce jour dominée par une oligarchie qui, elle, accepterait sans grande résistance le statut de classe dominante compradore soumise aux exigences de la mondialisation impérialiste en place. Le conflit entre cette classe et les ambitions de Poutine de reconstruire une forme indépendante de capitalisme d’Etat est de ce fait appelé à s’amplifier. La poursuite de la guerre froide contre la Russie devrait faire comprendre que l’objectif de Washington et de ses alliés subalternes en Europe est tout simplement d’imposer au monde entier – et au bénéfice exclusif de la triade Etats Unis/Europe occidentale/Japon – le statut de périphéries dominées.

 

 

5. Pour l’Union soviétique comme pour n’importe quelle société historique les choix politiques extérieurs s’articulent étroitement sur les exigences de la dynamique sociale interne. Les puissances occidentales – fascistes et démocratiques – n’ont jamais renoncé, depuis 1917, à abattre l’URSS et celle-ci, en dépit de son rôle déterminant dans la victoire de 1945, sortait épuisée de la confrontation, de surcroît menacée par le monopole nucléaire des Etats Unis. Dans ces conditions les accords de Yalta ne constituaient pas un partage du monde entre impérialismes victorieux mais un minimum de garanties concernant sa propre sécurité que l’Union soviétique avait obtenu.

L’Union soviétique, comme la Chine, le Vietnam ou Cuba n’ont jamais cherché à exporter leur révolution, mais au contraire ont toujours pratiqué une diplomatie prudente sur le fond, s’assignant l’objectif prioritaire de protéger leur propre Etat. C’est pourquoi toutes les révolutions se sont faites presque contre la volonté du « grand frère » : celle de la Chine contre les conseils de Moscou, comme celle du Vietnam et de Cuba se sont imposées par elles-mêmes. Ce fait ne m’a jamais paru choquant et j’ai essayé d’en comprendre les raisons, sans toutefois accepter que les révolutionnaires doivent s’y soumettre. Au contraire ils doivent passer outre, mais, en contrepartie, ne compter que sur leurs propres forces. Ce que les révolutionnaires qui ont réussi ont d’ailleurs fait (Chine, Vietnam, Cuba,).

L’initiative de la seconde guerre froide après celle de l’entre-deux-guerres, a été prise par Washington dès 1947. L’URSS s’en tenait rigoureusement au partage de Yalta (témoin son attitude vis-à-vis de la révolution grecque) et n’a caressé le projet d’envahir l’Occident européen à aucun moment de son histoire. Le discours sur le bellicisme soviétique est de pure propagande atlantiste. Le jdanovisme (le monde partagé en deux camps) est typiquement défensif (il s’agit de justifier la non intervention de l’URSS hors des frontières de Yalta) et ouvre une période d’isolement de l’URSS et, à partir de 1949, de la Chine, imposé par le bloc atlantiste qui, lui, ne s’est jamais privé d’intervenir dans le tiers monde (guerres coloniales, guerres d’agressions israéliennes etc.).

L’URSS et la Chine amorcent la sortie de leur isolement à partir de la conférence de Bandung (1955), en comprenant le profit qu’elles peuvent tirer d’un soutien – même limité – aux mouvements de libération du tiers monde. Je ne leur ai jamais reproché ce soutien, historiquement positif, mais je n’en ai jamais attendu plus qu’il ne pouvait donner, limité par la recherche active d’une coexistence pacifique refusée par le bloc atlantiste. Simultanément l’effort militaire soviétique conduit, mais seulement tardivement (vers 1970) à un équilibre de dissuasion réel. A partir de ce moment, mais de ce moment seulement, l’URSS devient une superpuissance et on entre, de ce fait, dans une période nouvelle.

La bipolarité qui caractérise les vingt années qui précèdent l’effondrement soviétique de 1989-1991 reste asymétrique, du fait que l’URSS n’était superpuissance que par sa dimension militaire, sans que, au plan de la capacité d’intervention économique, elle ait été capable de concurrencer les impérialistes occidentaux.

Les objectifs de l’intervention soviétique au-delà des frontières de Yalta restent plus difficiles à définir. Pour moi les interventions de l’URSS n’exprimaient pas une volonté agressive « d’exporter la révolution » et d’imposer en fait sa domination, mais plutôt une stratégie défensive en position de faiblesse relative, malgré la parité acquise en matière de dissuasion nucléaire. Il reste que ces interventions ont parfois été vues comme l’expression d’une force montante. Un examen du débat concernant le « social impérialisme » – un vocable forgé par les Chinois en 1963 – s’impose ici. Il s’agissait d’un projet de compromis social entre la bourgeoisie soviétique et son peuple (le « compromis révisionniste ») analogue après tout au compromis social-démocrate en Occident – qui aurait permis un expansionnisme extérieur (analogue à l’expansion coloniale soutenue par le consensus impérialiste en Occident). Il n’y avait dans ce concept rien qui fût surprenant, et impossible à imaginer. La question véritable n’était donc pas de savoir si la bourgeoisie soviétique aurait ou n’aurait pas souhaité sa mise en œuvre, mis si elle en était capable. La réponse à cette question reste, à mon avis, ouverte.

De Lénine à Gorbatchev, des avancées magistrales suivies de reculs dramatiques

Des avancées sur la longue route du socialisme impliquent la mise en œuvre d’une planification qui se substitue graduellement à la gestion de l’économie privée par le marché. La nouvelle propriété sociale des moyens de production l’impose.

Bien entendu cette déclaration de principe ne règle pas la question des formes appropriées de la planification, qui doivent répondre aux exigences de l’étape concernée sur cette longue route ; et celles-ci seront fort différentes si le point de départ est celui d’une économie capitaliste avancée (dans l’hypothèse imaginaire d’une avancée révolutionnaire aux Etats Unis ou en Europe occidentale), ou celui d’une économie périphérique dans le système mondial (comme l’étaient celles de la Russie ou de la Chine). Mais dans tous les cas je ne crois pas possible d’imaginer d’emblée un Plan techniquement parfait, supérieur immédiatement en efficacité à la gestion privée des marchés et permettant de surcroît la socialisation. La transition ne peut être que longue – très longue même (un siècle ?) – parce que la société nouvelle en construction sort des entrailles nauséabondes du capitalisme, comme Marx l’avait déjà compris et affirmée.

Par ailleurs dans cette avancée progressive de la planification sociale (et non simplement économique) chaque étape doit permettre le progrès de la socialisation de la gestion économique, c’est-à-dire renforcer sans interruption la maîtrise de celle-ci par les travailleurs eux-mêmes, substituant leur pouvoir à celui des entrepreneurs capitalistes. Ici encore il n’y a pas de formule tout prête répondant à cette exigence fondamentale. L’intervention directe du peuple travailleur à tous les niveaux, de l’entreprise à la nation, doit être inventée par la pratique politique en marche. Ni l’autogestion de l’entreprise par ses travailleurs, ni la planification autoritaire de l’Etat national ne constituent des réponses au défi suffisantes, même si des éléments de l’une et de l’autre se retrouvent dans le système mis en place pour avancer sur la route du socialisme.

En tout état de cause le point de départ incontournable est la nationalisation/étatisation de la propriété des moyens de production majeurs. Mais cette définition négative (l’abolition de la propriété privée) ne constitue que la condition qui permet éventuellement la socialisation progressive de la nouvelle propriété des travailleurs.

J’ai pour ma part proposé par exemple les formes concrètes que pourrait prendre l’amorce de cette socialisation dans une économie industrielle moderne avancée, et j’ai qualifié ces formes de mise en place institutionnalisée d’une régulation sociale du marché. J’y renvoie le lecteur, Ref. L’implosion du capitalisme contemporain, pages 123-128). Le critère d’appréciation d’une planification socialiste quelconque, à chaque étape de son déploiement, doit être celui-ci : fait-elle ou non avancer la socialisation de la gestion de la vie économique, sociale et politique ? La planification soviétique (ou chinoise) doit être appréciée pour chacune des étapes de son histoire à l’aune de ce critère.

Dans cet esprit le principe de la planification est proclamé par Lénine au lendemain même de la révolution d’octobre et le Gosplan créé en 1921. Néanmoins sa mise en œuvre effective est retardée par la NEP : la production agricole est trop largement contrôlée par la frange aisée de la paysannerie (les koulaks) pour permettre l’accélération du développement nécessaire de l’industrie. La planification soviétique réelle ne démarre donc qu’avec la collectivisation qui met un terme à la NEP, c’est-à-dire avec le premier plan quinquennal (1929-1933).

Je ne reviens pas sur ce que j’ai écrit plus haut concernant (i) les objectifs de cette planification (qualifiée de « stalinienne ») à savoir l’accélération prodigieuse de l’industrialisation, la priorité donnée aux industries lourdes de base et à la modernisation de l’armement ; (ii) la stratégie économique mis en œuvre à leur service, à savoir le transfert du surplus agricole (et parfois même au-delà) au bénéfice d’une accumulation industrielle extensive, fondée sur le transfert de fractions importantes de la population des campagnes pour constituer une classe ouvrière urbaine, (iii) les formes de cette planification centralisée, gérée autoritairement par l’Etat et lui seul.

On pourra dire ce que l’on veut sur le caractère socialiste ou non de cette aventure. Il n’y avait pas d’alternative au choix de ses objectifs, même si l’on peut imaginer des formes de sa mise en œuvre qui auraient permis de faire avancer sa gestion socialisée. C’est le succès de cette option qui a fait de l’Union Soviétique en 1941 une nouvelle grande puissance industrielle et militaire et donc permis à l’Armée Rouge de mettre en déroute – seule –les hordes nazies. Car la victoire a été remportée par cette Armée et elle seule. Le prétendu soutien des Occidentaux s’est réduit à des livraisons insignifiantes. Et l’intervention militaire tardive des Etats Unis et de la Grande Bretagne – le second front à partir du débarquement en Normandie en 1944 – n’avait pour objectif que d’empêcher l’Union Soviétique de libérer seule toute l’Europe.

Cela n’exclut pas la reconnaissance du courage admirable du peuple britannique refusant seul de capituler en 1940. Ni celle du courage des peuples de Yougoslavie et de Grèce qui ont fait face à l’invasion nazie par une guerre de libération ininterrompue. Mais cela exclut la reconnaissance du rôle des Etats Unis, qui ne se sont mobilisés que lorsque le nazisme était déjà sur la pente de sa défaite.

L’alternative au « stalinisme », proposée par Trotsky à partir de 1927-1930, aurait-elle permis de faire « mieux » ? Certainement pas, et tout au contraire. Les choix que Trotsky aurait fait s’il avait pris la direction du Parti et de l’Etat (ce qui à mon avis était tout à fait exclu, fort heureusement) auraient conduit l’Union Soviétique à la défaite certaine et permis le succès du projet nazi. Trotsky se nourrissait du mythe d’une classe ouvrière européenne (et en particulier allemande) révolutionnaire. Il n’avait pas tiré la leçon de l’échec de la révolution allemande de 1919-1921 : le socialisme doit avancer dans un seul pays, isolé et combattu par toutes les puissances occidentales comme désormais Lénine et Staline l’avaient compris. Les projets de Trotsky sont désormais connus et établis à partir non seulement des archives soviétiques, mais encore de celles de l’Allemagne nazie et de la Grande Bretagne conservatrice. Gover Furr en a donné les preuves dans leur moindre détail (Cf. Les amalgames de Trotsky) : Trotsky prônait le « défaitisme révolutionnaire » (comme on pouvait l’admettre en 1914). La défaite de l’Armée Rouge aurait alors déclenché, selon lui, une révolution allemande anti-nazie !

Trotsky, exilé, dès 1927, n’ayant plus de responsabilité dans la navigation du navire soviétique, pouvait se complaire dans la répétition inlassable des principes sacrés du socialisme. La Quatrième Internationale succombait dès l’origine au mythe de la révolution mondiale mise sur de bons rails par les classes ouvrières des pays capitalistes développés. Ce discours peut convenir à certains marxiens académiques qui peuvent se payer le luxe d’affirmer leur attachement aux principes sans souci d’être efficaces dans la transformation de la réalité. La Quatrième Internationale, pour cette raison, n’a jamais pu sortir de son ghetto intellectuel. Il y a certes de belles exceptions d’intellectuels marxistes qui, sans avoir exercée des responsabilités dans la direction de partis révolutionnaire, encore moins d’Etat (comme Baran, Sweezy, Hobsbawn et d’autres), n’en sont pas moins demeurés attentifs aux défis auxquels ont été confronté les socialismes historiques.

La poursuite de la méthode dans l’après- guerre a permis la reconstruction en un temps record d’un pays ravagé comme aucun autre, et de surcroit la modernisation de ses moyens militaires (arme nucléaire, fusées, préparant le succès du sputnik). Mais simultanément les méthodes de cette planification perdaient leur efficacité au fur et à mesure que l’économie devenait plus complexe. Les objectifs du Plan stalinien étaient définis d’une manière rudimentaire (tonnes d’acier, de rails, de ciment, mètres carrés de logements, tonnes de blé, mètres de tissus etc.), désormais tout à fait insuffisante pour faire face à une demande diversifiée.

Il y a deux façons de répondre à ce défi. L’une consiste à donner leur place à des mécanismes de marché, sans pour autant les associer à un retour à la propriété privée. Il faut alors savoir que l’encadrement des marchés concernés par le Plan général et par le souci de renforcer la socialisation de la gestion de l’économie est une affaire délicate. L’expérience de la Chine qui a choisi cette voie en témoigne, la dérive en direction de l’émergence de formes capitalistes privées est toujours active. L’autre réponse est fondée sur l’idée qu’une bonne planification centralisée, disposant des moyens les plus sophistiqués de l’informatique moderne, peut prévoir en détail à l’avance la diversité extrême de la demande, quitte évidemment à corriger les erreurs, inévitables dans toute action humaine. Il s’agit là d’un idéal techno-mathématique qui n’est pas tout à fait nouveau (rappelons- nous sur ce sujet l’imaginaire du gouvernement des savants de Saint Simon), mais qui, à mon avis, ignore la réalité du fonctionnement social. Néanmoins la preuve que cet imaginaire est toujours vivant est donnée par les propositions de planification socialiste « parfaite » (ou presque !) formulées par exemple par Cockshott et Cottrell auxquels se rallient certains visionnaires du socialisme du XXIe siècle (dont Jo Cottenier sur lequel je reviendrai).

Toujours est-il qu’après la mort de Staline, les rhétoriques dites de « déstalinisation » amorcées par Khroutchev et le XXe Congrés du Parti Communiste (1956) ont ignoré cette question fondamentale.

Le projet de Khroutchev était d’une toute autre nature ; il s’agissait de vilipender toute la période stalinienne, de la peindre en noir absolu dans toutes ses manifestations, d’ignorer les défis auxquels le régime avait fait face, d’ignorer ses succès. La démonstration convaincante que « Kkroutchev a menti » (titre de l’ouvrage de Gover Furr) est désormais disponible. Simultanément Khroutchev s’engageait dans une réforme absurde, la décentralisation régionale de cette même planification stalinienne par la création des fameux Sovnarkozes qui n’ont produit qu’un inimaginable désordre et beaucoup de régressions. Cette « réforme » a été assaisonnée de discours creux sur un rattrapage rapide des niveaux de développement des pays les plus avancés. Elle a été également associée à un prétendu « dégel » dans la guerre froide, fondée sur l’ignorance des objectifs réels et permanents des puissances impérialistes, qui n’ont jamais renoncé à déraciner l’espérance du socialisme depuis 1917.

Domenico Losurdo (dans son ouvrage Staline), Roger Keeran et Thomas Kenny (Le socialisme trahi), Michael Lebowitz (Contradictions of real socialism) permettent de corriger les bévues de l’anti-stalinisme primaire à la mode, inlassablement repris par les medias occidentaux, et malheureusement accepté par les héritiers de l’euro-communisme.

La classe dirigeante soviétique a mis un terme rapide aux fantaisies de Khroutchev, sans pour autant amorcer les réformes indispensables et choisir entre les deux voies évoquées plus haut. Le système allait alors s’enfermer dans la « glaciation brezhnevienne ». Jo Cottenier (L’économie du socialisme) a fait un travail approfondi de revue des réformes de l’ère post stalinienne, dont je partage les appréciations au point de me contenter d’en reprendre le fil conducteur dans ce qui suit.

Les projets de Fedorenko, Nemchinov et Kantorowich, formulées en 1961, s’appuyaient sur les méthodes mathématiques et la cybernétique et procédaient donc du choix d’une centralisation renforcée mais rendue efficace par sa complexité intériorisée. Elles ont été repoussées par les dirigeants du parti et de l’Etat qui penchaient en faveur de plus de décentralisation que de centralisation, et ont préféré de ce fait les réformes proposées par Liberman en 1962, fondées sur le renforcement de l’autonomie des entreprises et donc le recours à des mécanismes de marché. La réforme de Kossyguine (1965) qui s’en est inspirée amorce le démantèlement de la planification et, à terme, va autoriser la libéralisation tardive des rapports de propriété (mise en œuvre par Gorbatchev sous les conseils du libéral ouvertement pro-capitaliste Aganbeyan)

Pendant la longue période de glaciation brezhevienne rien n’est entrepris positivement. Mais beaucoup est toléré dans les faits. L’image des « poupées russes » (« matriochka ») a été proposée par des amis russes pour en comprendre la nature : dans une poupée qui représentait une entreprise publique se cachait une poupée privée plus petite.

Le système soviétique, en déclin depuis trois décennies, incapable de trouver une ligne de réforme efficace, s’achève avec la perestroika de Gorbatchev. Peu importe alors les intentions du dernier Secrétaire Général du PCUS, qu’il ait cru possible de sauver ainsi les acquis essentiels du socialisme ou qu’il ait simplement souhaité le retour au capitalisme. Il restera dans l’histoire l’architecte du désastre : la restauration pure et simple du capitalisme et l’éclatement de l’Union soviétique. On comprend qu’il soit considéré par l’opinion générale de la Russie contemporaine comme un traitre pur et simple. J’ai pour ma part entendu Gorbatchev à Rimini peu après l’effondrement. L’impression que j’en ai tirée est qu’il n’avait jamais été marxiste dont il ignorait les principes les plus élémentaires. J’en ai conclu qu’il ne s’agissait que d’un « apparatchik » qui aurait pu faire carrière dans n’importe quel système politique. La question reste alors : comment un tel personnage a-t-il pu devenir Secrétaire Général d’un parti dit communiste ?

 

Les caractères fondamentaux du système soviétique déclinan

J’ai retenu pour l’analyse qui suit des traits saillants qui me paraissent permettre de saisir l’essentiel de ce que le système soviétique était devenu dans sa dernière phase, celle du brezhnevisme. La révolution de 1917 a été une grande révolution dans l’histoire de l’humanité, porteuse de riches promesses nécessaires et généreuses et l’objet de ces pages n’est pas d’en faire le procès en liquidation comme il est bon ton de le faire aujourd’hui, encore moins de laisser entendre que les traits saillants mis en relief ici étaient déjà contenus dans la révolution, ou le léninisme, ou même le stalinisme. Le choix de cette caractérisation a la seule ambition d’éclairer la nature de la dérive qui a préparé l’effondrement.

Je définis le système soviétique tardif par cinq caractères fondamentaux : le corporatisme, le pouvoir autocratique, la stabilisation sociale, la déconnexion du système capitaliste mondial et son insertion dans celui-ci comme super puissance. Le concept de « régime totalitaire », vulgarisé par le discours idéologique dominant, s’avère ici comme ailleurs plat et creux, incapable de rendre compte de la réalité de la société soviétique, de ses modes de gestion et des contradictions qui ont commandé son évolution et sa chute finale.

Un : un régime corporatiste.

J’entends par là que la classe ouvrière (censée être devenue « dirigeante ») avait perdu sa conscience politique unificatrice, à la fois par la volonté des politiques mises en œuvre par le pouvoir et par les conditions objectives du gonflement rapide de ses effectifs produit par l’industrialisation accélérée. Les travailleurs de chaque entreprise – ou groupe d’entreprises rassemblées dans un combinat – constituaient avec ses cadres et ses directeurs un « bloc » social/économique, et défendaient ensemble leur place dans le système. Ces « blocs » se confrontaient les uns les autres à tous les niveaux : dans les « négociations » (« marchandages ») entre les ministères et les départements du Gosplan, dans les rapports quotidiens avec les entreprises des combinats autres que le leur. Les syndicats, réduits à la gestion du travail (conditions de l’emploi et du travail) et des avantages sociaux des travailleurs concernés, trouvaient leur place naturelle dans ce système corporatiste.

Le corporatisme en question remplissait des fonctions décisives dans la reproduction et l’expansion du système dans son ensemble. Il constituait un double substitut : (i) au principe de la « rentabilité » qui commande en dernier ressort les décisions d’investissement dans le capitalisme ; et (ii) au marché qui définit toujours, dans le capitalisme, les normes par lesquelles les prix sont déterminés. Le corporatisme constituait la réalité que « la planification » occultait par ses prétentions à faire prévaloir une « rationalité dite scientifique » de la gestion macro-économique du système productif.

Le corporatisme entraînait l’accentuation des dimensions régionalistes dans les négociations/marchandages des blocs concurrents. Ce régionalisme n’avait pas pour fondement principal la diversité « nationale » (comme il l’avait dans la Yougoslavie fédérale titiste). Les rapports entre la Russie – nation prépondérante numériquement et historiquement – et les autres nations n’étaient pas de la nature des rapports « coloniaux ». En témoigne les flux de redistribution des investissements et des avantages sociaux opérant au détriment des « Russes », en faveur des régions périphériques. J’ai, sur ce plan, refusé les billevesées assimilant l’URSS à un système « impérial », la Russie dominant ses « colonies internes », en dépit du sentiment de « prépondérance » de la nation russe (voire de l’arrogance de certaines de ses expressions). Les régionalismes en question étaient en fait ceux de petites régions (au sein des républiques auxquelles elles appartenaient) ayant des intérêts communs à défendre dans le système global assurant leur interdépendance, toujours plus inégale en fait que ne le prétendait le discours rationalisant du Gosplan.

Deux : un pouvoir autocratique

Le choix du terme n’est pas destiné à affaiblir la critique du système. On constatera sans difficulté « l’absence de démocratie » qu’elle soit du modèle représentatif (les élections n’étant ici que des cérémonies sans surprise) ou du modèle participatif, plus avancé par nature, comme l’avaient imaginé les révolutionnaires de 1917, les syndicats et toutes les formes possibles d’organisations sociales ayant été domestiqués, interdisant de ce fait la participation effective à la décision à tous les niveaux.

Mais ce constat ne donne aucune qualité explicative au pseudo concept de « totalitarisme ». Le pouvoir autocratique était disputé au sein de la classe dirigeante – les représentants des blocs corporatistes. L’autocratie de façade masquait la réalité : un pouvoir assis sur la résolution « pacifique » des conflits corporatistes, sachant ménager les uns et les autres.

Trois : un ordre social stabilisé

Je n’entends pas ignorer les violences extrêmes qui ont accompagné la construction du système soviétique. Celles-ci ont été d’ordres divers.

Le conflit majeur opposait les défenseurs du projet socialiste à l’origine de la révolution aux « réalistes » qui, en pratique sinon dans leur rhétorique, donnaient la priorité absolue au « rattrapage » par l’industrialisation – modernisation accélérée. Ce conflit était le produit inévitable de la contradiction objective à laquelle la révolution était confrontée : il lui fallait à la fois « rattraper » (ou tout au moins réduire le retard), puisque la révolution héritait d’un pays « arriéré » (je n’aime pas le terme, je lui préfère celui de « capitalisme périphérique ») et simultanément construire « autre chose » (le socialisme). J’ai insisté sur cette contradiction, que j’ai située au cœur de la problématique du dépassement du capitalisme à l’échelle mondiale (la « longue transition du capitalisme au socialisme mondial »), et n’y reviens pas ici. Les victimes de cette première cause majeure de recours à la violence ont été les militants communistes.

Un second ordre de violences ont accompagné l’industrialisation accélérée. Celles-ci sont par certains aspects comparables à celles qui ont accompagné en Occident la construction du capitalisme, la migration massive des campagnes vers les villes la prolétarisation misérable (le surpeuplement des logements etc.). Il reste que l’URSS a procédé à cette construction dans un temps recors – quelques décennies -, par comparaison au siècle entier dont disposaient les pays du capitalisme central. Ceux-ci disposaient de surcroît des avantages de leurs positions impérialistes dominantes et de la possibilité de laisser « l’excédent » de leur population émigrer vers les Amériques. La violence de l’accumulation primitive en URSS ne paraît pas, dans ces conditions, plus tragique qu’elle ne le fut ailleurs. Au contraire sans doute. Car en URSS l’industrialisation accélérée a offert aux enfants des classes populaires le bénéfice d’une mobilité sociale gigantesque, inconnue dans les systèmes des pays du capitalisme central dominés par la bourgeoisie. C’est cette « spécificité », héritage malgré tout des intentions socialistes d’origine, qui a rallié au système – fut-il autocratique – la majorité des classes ouvrières et même de la paysannerie « collectivisée ».

Il ne s’agit pas d’excuser ces violences, encore moins les dérives criminelles qui leur ont été associées et qui auraient pu être évitées. Néanmoins la comparaison avec les violences associées à l’accumulation capitaliste s’impose. Celles-ci comptent à leur actif le génocide des Indiens d’Amérique, la traite négrière, les massacres coloniaux (les soldats de la conquête festoyant en promenant les têtes des résistants coupées). Et cette barbarie se poursuit sous nos yeux avec les interventions militaires de l’Otan dont l’objectif n’est rien de moins que détruire systématiquement les sociétés soupçonnées de pouvoir leur résister, comme en Yougoslavie, Lybie, Irak et Syrie. Les victimes de la barbarie capitaliste se comptent par centaines de millions.

Le système soviétique, pour contradictoire qu’il fut, est donc parvenu à construire un ordre social qui pouvait se stabiliser, et s’est effectivement stabilisé dans sa période post stalinienne. La paix sociale a été « achetée » par la modération de l’exercice du pouvoir – bien que toujours autocratique -, par l’amélioration des conditions matérielles et par sa tolérance à l’égard des écarts « illégaux ».

Sans doute une stabilité de cet ordre n’est-elle pas appelée à être « éternelle ». Mais aucun système ne dispose d’un avantage de cette qualité, en dépit des prétentions de discours idéologiques (qu’il s’agisse de celui du « socialisme » ou du « libéralisme » capitaliste). La stabilité soviétique masquait les contradictions et limites du système que résume sa difficulté à passer de formes extensives de l’accumulation à des formes intensives de celle-ci, comme sa difficulté à sortir de l’autocratie et à permettre la démocratisation de sa gestion politique. Mais cette contradiction aurait pu trouver sa solution dans une « évolution » vers ce que j’ai qualifié de « centre-gauche » : l’ouverture d’espaces marchands (sans remise en cause des formes dominantes de la propriété collective) et la démocratisation. On aurait pu croire que c’était l’intention de Gorbatchev, dont l’échec de la tentative – naïve et incohérente pour le moins qu’on puisse dire – a fait tomber le régime « à droite » à partir de 1990 et restauré le capitalisme.

Quatre : la déconnexion du système soviétique

Le système productif soviétique était effectivement largement déconnecté du système capitaliste mondial dominant. J’entends par là que les logiques qui commandaient les décisions économiques du pouvoir (investissements et prix) ne procédaient pas des exigences d’une inscription « ouverte » dans la mondialisation. C’est grâce à cette déconnexion que le système était parvenu à avancer aux rythmes accélérés que l’on connaît.

Ce système n’était néanmoins pas « intégralement » indépendant du « reste du monde » (capitaliste). Aucun système ne peut l’être et la déconnexion, dans ma définition du concept, n’est pas synonyme « d’autarcie ». Dans son insertion au système mondial, l’URSS occupait une position de « périphérie », principalement exportatrice de matières premières.

Cinq : une superpuissance militaire et politique

L’URSS, grâce aux succès – et non aux échecs – de sa construction, était parvenue à se hisser au rang de superpuissance militaire. C’est son armée qui a battu les Nazis, puis, après la guerre, est parvenue dans un temps record à mettre un terme au monopole nucléaire et balistique des Etats-Unis. Ces succès sont à l’origine de sa présence politique sur l’échiquier mondial de l’après guerre. Le pouvoir soviétique bénéficiait de surcroît du prestige de sa victoire sur le nazisme et de celui du « socialisme » dont il prétendait être le témoignage, quelles qu’aient été les illusions concernant la réalité de ce « socialisme » (qualifié parfois de « réellement existant »). Il a su en faire un usage « modéré », dans ce sens que, contrairement aux affirmations de la propagande antisoviétique, il ne se proposait ni « d’exporter la révolution », ni de « conquérir » l’Europe occidentale (le faux motif invoqué par Washington et les bourgeoisies européennes pour faire accepter l’OTAN). Il a néanmoins mis en œuvre sa puissance politique (et militaire) pour contraindre l’impérialisme dominant à reculer dans le tiers monde, ouvrant aux classes dominantes (et aux peuples) d’Asie et d’Afrique une marge d’autonomie qu’elles ont perdu avec la chute de l’URSS. Ce n’est pas un hasard si l’offensive hégémoniste militarisée des Etats-Unis s’est déployée avec la violence qu’on connaît à partir de 1990. La présence soviétique imposait – de 1945 à 1990 – une organisation « multipolaire » du monde.

Thermidor, la restauration ; vers une seconde vague d’avancées révolutionnaires ?

Les révolutions russe et chinoise ont du mal à se stabiliser ; car elles sont contraintes de concilier la perspective socialiste et des concessions au capitalisme. Laquelle de ces deux tendances l’emportera ? Ces révolutions ne vont donc se stabiliser qu’à partir de leur « thermidor », pour reprendre le terme utilisé par Trotsky. Mais à quand donc remonte le thermidor en question en Russie, à 1930 (comme Trotsky le déclare) ? Ou à la N. E. P. des années 1920 ? Ou à la glaciation du Brezhnev ? Et pour la Chine, Mao choisit-il le thermidor dès 1950 ? Ou faudra-t-il attendre Deng Xiaoping pour parler du thermidor de 1980 ?

La reprise des leçons de la Révolution française n’est pas de hasard. Les trois grandes révolutions des temps modernes (la française, la russe, la chinoise) sont grandes précisément parce qu’elles se projettent loin en avant des exigences immédiates du moment. La révolution française s’affirme, avec la convention montagnarde de Robespierre, une révolution populaire autant que bourgeoise, comme les révolutions russe et chinoise ambitionnent d’aller au communisme, même si celui-ci n’est pas à l’ordre du jour des exigences : ne pas être mis en déroute, préserver la perspective d’aller plus loin plus tard. Thermidor n’est pas la Restauration. Celle-ci s’impose en France, non pas avec Napoléon, mais seulement à partir de 1815. Encore faut-il savoir que la restauration ne peut pas gommer intégralement la transformation gigantesque de la société produite par la révolution. En Russie la restauration est encore plus tardive : elle sera l’œuvre de Gorbatchev et Eltsine. Et ici également cette restauration demeure fragile, comme en témoigne les défis auxquels Poutine est désormais confronté. En Chine il n’y a pas (ou pas encore !) de Restauration. Eric Hobsbawn, (Aux armes historiens, 2013), Florence Gauthier et quelques autres historiens de la révolution française n’assimilent pas Thermidor et Restauration, comme le suggère la simplification trotskyste.

La page de la Révolution de 1917 est tournée, et d’une manière plus générale la première vague d’avancées révolutionnaires vers l’émancipation des êtres humains et des sociétés qu’elle a inspirée s’est épuisée. Les peuples doivent-ils alors se résigner définitivement, renoncer à l’utopie créatrice du communisme, se contenter d’inscrire leurs revendications dans l’ajustement permanent à un capitalisme éternel ?

Et pourtant le capitalisme ne s’est pas constitué miraculeusement et d’un seul coup au 16 ième siècle dans le triangle Londres/Amsterdam/Paris comme le laisse entendre la légende euro centrique. Son incubation a duré dix siècles. Mais si les avancées successives réalisées en Chine à partir du 10 ième siècle, dans le Califat Abbasside, puis dans les villes italiennes n’ont pas abouti à la cristallisation de cette nouvelle étape dans l’histoire de l’humanité, elles ont néanmoins produit des éléments qui ont permis cette cristallisation plus tardive en Europe atlantique. Alors, pourquoi l’invention du communisme, conçu comme un étape supérieure de la civilisation, ne devrait-elle pas, elle aussi, émerger à travers le déploiement de vagues successives d’avancées révolutionnaires ?

 

Références :

Boukharine, Impérialisme et accumulation du capital (première ed russe 1915)

Lénine, L’impérialisme stade suprême du capitalisme (première ed russe 1916)

Karl Kautsky, La question agraire (pemière ed allemande 1899)

Gover Furr, Khrouthev a menti ; Delga 2016

Gover Furr, Les amalgames de Trotsky ; Delga 2016

Geoffrey Roberts, Les guerres de Staline

Domenico Losurdo, Staline

Roger Keeran et Thomas Kenny, Le socialisme trahi

Michael Lebowitz, Contradictions of real socialism

Jo Cottenier, L’économie du socialisme (manuscrit français, à paraitre en Belgique) ; ref dans cet

Cockshott P. and Cottrell A; Socialist planning after the collapse of Soviet Union; 1993.

Georges Orwell ; 1984

Eric Hobsbawm, Aux armes historiens

Herbert Marcuse, L’homme unidimentionnel

Florence Gauthier, Albert Mathiez, historien de la révolution française ; Annales historiques

de la révolution française, n°3/2008

Jan Tinbergen, Shaping the world economy ; Twentieth Century Fund 1962

Samir Amin, La Russie dans la longue durée; Les Indes Savantes 2016, chapitres 3,4,5,6

Samir Amin, L’implosion du capitalisme contemporain, Delga 2012

Samir Amin, Mémoires ; les Indes Savantes 2015

Samir Amin, Chine 2013 ; La Pensée 2013

Samir Amin ; La crise, sortir de la crise du capitalisme ou sortir du capitalisme en crise ? ; Le

Temps des Cerises ; Paris 2009 ; chapitre 5.

Révolution ; revue publiée à Paris en 1963.

 

 

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